La tentative d'assassinat par empoisonnement du député Mourad Amdouni, relayée par certains médias et confirmée par l'intéressé, est un grave précédent, d'autant que l'Assemblée en a été le théâtre. Elle pose aussi de graves questions...
Par Imed Bahri
Mais d'abord, les faits: à la fin des travaux de l'Assemblée nationale constituante (ANC), à la fin de l'une des longues séances plénières de la semaine écoulée, Mourad Amdouni, député du Front populaire et membre du bloc démocratique (opposition), n'a pas trouvé son manteau là où il l'avait laissé quelques heures auparavant. Dans les poches du manteau, il y avait les clés de sa maison, des médicaments contre le diabète, maladie dont il est atteint, et un flocon d'édulcorant liquide qu'il utilise pour sucrer son café, car il ne consomme plus de sucre naturel.
L'énigme du manteau disparu
Ne pouvant rentrer à la maison, le député s'est résigné à passer la nuit à l'hôtel, mais à son retour, le lendemain matin, à l'Assemblée, il a retrouvé son manteau à la place où il l'avait perdu la veille: il était accroché au porte-manteau. Il y a retrouvé les clés de la maison, les médicaments contre le diabète et le flocon d'édulcorant. Tout étant rentré dans l'ordre, il n'a pas cherché à comprendre comment un manteau peut-il disparaître de l'Assemblée pour réapparaître le lendemain à la même place. Il a pensé que l'un de ses collègues s'est trompé en le prenant et qu'il l'a remis à sa place le lendemain.
Quelques heures plus tard, M. Amdouni a pris un café dans la cafétéria de l'Assemblée. Il a versé deux gouttes de son édulcorant habituel dans la tasse et en a pris quelques gorgées. Quelques minutes plus tard, il a été pris d'un profond malaise et a perdu connaissance. On a fait appel à un médecin. Les résultats du test de glycémie qu'elle lui fait subir étaient surprenants: 4,2 grammes de glycémie dans le sang. Si le député n'avait pas pris soin de prendre ses médicaments du matin, ce taux aurait été plus élevé et il aurait subi des dommages physiques plus graves qu'un simple évanouissement temporaire.
Il ne faut pas être Sherlock Holmes ou le commissaire Colombo pour tirer une conclusion de cette affaire: c'est la personne ayant «volé» le manteau la veille qui a mis quelque «poison» dans le flocon d'édulcorant. Mais qui a intérêt à «tuer» Mourad Amdouni qui, faut-il le rappeler, appartient à la même famille politique que les deux dirigeants assassinés par des extrémistes religieux: Chokri Belaïd (le 6 février 2013) et Mohamed Brahmi (le 25 juillet 2013)?
Des députés, notamment Samir Ettaieb d'Al-Massar (bloc démocratique) ont déploré, dans des déclarations aux médias, la présence fréquente, dans les couloirs de l'Assemblée, d'éléments appartenant aux fameuses Ligues de protection de la révolution (LPR), des milices violentes au service d'Ennahdha, et d'autres groupes et associations de la même mouvance. Ces derniers sont souvent les hôtes (et c'est le cas de le dire) de députés d'Ennahdha, qui interviennent personnellement pour les faire entrer à l'Assemblée.
Dessine-moi une Vespa...
Samir Ettaieb, ayant fait l'objet lui-même, la semaine dernière, d'une menace de mort – il a retrouvé, sur son banc, dans les travées de l'Assemblée, une feuille sur laquelle était écrit le mot «Vespa», par allusion à la marque de motocyclette utilisée par l'auteur des deux assassinats de Belaïd et Brahmi –, a porté cette question de la présence d'intrus parmi les députés à la direction de l'ANC, qui a été obligée de prendre des mesures strictes réglementant les déplacements (des journalistes, visiteurs, personnels, etc.) à travers les diverses parties de l'Assemblée.
Cela dit, la tentative d'assassinat de Mourad Amdouni, car c'en est vraisemblablement une, ne devrait rester sans réaction de la part des autorités policières et judiciaires. Celles-ci seraient bien inspirées, en effet, de diligenter une enquête afin d'identifier le ou les auteurs de cette tentative.
Sinon, la banalisation de ces pratiques pourrait avoir des conséquences fâcheuses sur la vie politique dans un pays où, même sous les impitoyables dictatures de Bourguiba et Ben Ali, on n'a pas connu de tentatives d'assassinat par empoisonnement des opposants politiques.