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Les Tunisiens ont célébré, mardi, le 3e anniversaire de la révolution du 14 janvier 2011 et de la chute de la dictature de Ben Ali, sous un ciel lourd. Malgré la division, les manifestants, toutes tendances confondues, gardent l'espoir.

Par Zohra Abid

L'avenue Habib Bourguiba, au centre-ville de Tunis, qui a rassemblé le 14 janvier 2011, près de 30.000 citoyens appelant d'une même voix au départ du dictateur, est, aujourd'hui, divisée en deux camps opposés, chacun chantant sa petite rengaine.

Les démocrates progressistes appelaient à l'instauration de la démocratie et à l'indépendance de la magistrature, et les islamo-conservateurs, qui n'ont pas désespéré d'instaurer la charia (loi islamique), lançaient des «takbir» bruyants (Dieu est grand !). Quelqu'un a-t-il soutenu le contraire?

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MM. Ben Jaafar, Marzouki et Larayedh célèbrent l'anniversaire de la révolution sur l'esplanade de la Kasbah.

Côté officiel, Moncef Marzouki, président provisoire de la république, enveloppé dans un burnous blanc, s'est rendu, dès les premières heures de la matinée, à l'esplanade de la Kasbah pour saluer le drapeau national sous le son de l'hymne national. Il était accompagné de Mustapha Ben Jaâfar, président de l'Assemblée nationale constituante (ANC), de Ali Larayedh, chef du gouvernement démissionnaire, de Hamda Saïed, Mufti de la république, des membres du gouvernement sortant, du chef du gouvernement désigné Mehdi Jomaâ, du chef d'Etat Major des armées et du gouverneur de Tunis. VIDEO. 

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Les partisans du parti Al-Jomhouri: "Ni Ennahdha ni le RCD".

Islamistes et démocrates en rangs dispersés

Au même moment, des membres d'associations islamistes venus des régions intérieures se sont donné rendez-vous devant le siège de l'ANC au Bardo pour dénoncer ce qu'ils appellent «le non respect des principes de l'islam dans le projet de constitution» et appeler à l'instauration de la charia comme unique source des lois en Tunisie.

A l'avenue Habib Bourguiba, une armada d'agents de sécurité a séparé, dès le matin, les manifestants des diverses tendances, avec d'importants cordons humains et des véhicules de la police.

Les militants du parti Al-Jomhouri étaient les premiers à déployer leurs drapeaux et bannières sur l'avenue principale de Tunis appelant à la liberté, à la démocratie et au respect de l'indépendance de la magistrature. Autre slogan entendu : "Ni Ennahdha ni le RCD", comme si le parti de Néjib Chebbi et Maya Jeribi voulait marquer davantage sa différence vis-à-vis de Nida Tounes, accusé de recycler d'anciens Rcdistes. 

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Les partisans du Front populaire exigent encore la vérité sur l'assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. 

Les partisans de l'Union pour la Tunisie, rassemblés en meeting au Palais des Congrès, sur l'Avenue Mohamed V, à quelques centaines de mètres de là, devaient rejoindre tout ce beau monde dans le milieu de la journée.

Le Front populaire et les militants syndicalistes se sont rassemblés, non loin de là, à la Place Mohamed Ali, où se trouve le siège de l'Union générale tunisienne de travail (UGTT).

Le secrétaire général de l'organisation, Houcine Abassi a appelé les Tunisiens à être solidaires et à se serrer les coudes pour sauver leur pays.

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Adel Almi, au centre, ne rate aucune occasion pour faire son prosélytisme salafiste.

Après avoir passé en revue la situation politique, économique et sociale dans le pays depuis la révolution, marquée selon lui par la persistance du chômage, la réduction du pouvoir d'achat et la montée de l'insécurité, du terrorisme et des attaques contre les mausolées, M. Abassi a ajouté que le prochain chef du gouvernement Mehdi Jomaâ n'a pas une baguette magique pour changer du jour au lendemain la situation. Et d'appeler ce dernier à respecter la feuille du route du dialogue national, en accélérant la dissolution des Ligues de protection de la révolution (LPR) et en révisant les nominations partisanes dans les hautes fonctions de l'Etat.

M. Abassi a demandé aussi aux Tunisiens en général et aux syndicalistes en particulier de démontrer au monde que le modèle tunisien de transition démocratique pourrait réussir et que le printemps arabe n'est pas nécessairement synonyme de terrorisme et de sang. VIDEO. 

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Les partisans d'Ennahdha ont la tête en Egypte: c'est là-bas, en effet, que se joue l'avenir des islamistes dans la région.

Une pensée pour les «Frères» d'Égypte

Non loin de là, devant le Théâtre municipal, des dirigeants et partisans d'Ennahdha, soutenus par leurs alliés des LPR et d'autres organisations et associations islamistes, ont installé leurs stands et systèmes de sonorisation. Parmi les drapeaux agités, ceux d'Ennahdha et de l'Egypte. Les manifestants ont repris en choeur des slogans hostiles au putsch militaire conduit par le général Al-Sissi, qui a destitué Mohamed Morsi, l'ex-président islamiste démocratiquement élu. Ils ont tempêté aussi contre les «azlem», les membres du RCD (ancien parti au pouvoir dissous), qui sont en train de reprendre du poil de la bête et cherchent, selon eux, à faire avorter la révolution.

L'artère principale de Tunis était surtout peuplée par les agents de sécurité, les vendeurs des drapeaux, de pralinés chauds et de kakis. Beaucoup d'enfants ont participé aux festivités aux côtés de leurs parents.

L'absence remarquable d'Ansar Charia

Les magasins et les cafés étaient ouverts au public et ont fait, semble-t-il, un bon chiffre d'affaires. Un hélicoptère militaire sillonnait  sans cesse le ciel gris, mais il n'y avait pas de débordements ou de violences à signaler (du moins jusqu'au milieu de la journée).

Il y avait comme un air de déjà vu, mais on a noté l'absence remarquable de la fameuse bannière noire des Ansar Charia, organisation officiellement classée terroriste depuis l'été dernier. N'empêche, beaucoup de barbus et des femmes en niqab étaient présents et ont exprimé tapageusement leur soutien à Ennahdha et leur hostilité à l'opposition démocratique et progressiste. Rien de vraiment nouveau sous le ciel de la Tunisie, au moment où les islamistes cèdent les rênes du gouvernement, mais sans quitter vraiment le pouvoir.

La célébration du 3e anniversaire de la révolution ne sera pas, on l'a compris, un moment inoubliable. Elle aura finalement servi de simple défouloir. Et demain sera un autre jour...