Dans un éditorial publié la semaine écoulée, ''The Washington Post'' a exprimé sa conviction que la voie du consensus que la Tunisie a empruntée devrait servir d'exemple aux autres pays du «printemps arabe».
Traduit de l'anglais par Moncef Dhambri
La littérature médiatique étrangère n'a pas fini de commenter et d'analyser les développements en Tunisie. Le cas tunisien suscite beaucoup d'intérêt: son originalité, la manière dont les Tunisiens ont choisi de faire face à leurs problèmes, leurs solutions, leurs options, etc., le distinguent des autres tentatives arabes de transition démocratique.
Le quotidien américain ''The Washington Post'' (WaPo) a consacré, la semaine dernière, un éditorial au 3e anniversaire de la révolution du 14 janvier 2011. Les éloges de Wapo sont nombreux et sa conviction est entière que la voie du consensus que notre pays a empruntée devrait servir d'exemple aux autres pays arabes qui, il y a trois ans, ont décidé de se débarrasser de leurs dictatures.
***
Le compromis démocratique
Trois années après le premier soulèvement du Printemps arabe, l'espoir que ces révolutions donnent naissance à des démocraties libérales dans la région du Moyen Orient arabe s'est pratiquement volatilisé – sauf dans le pays où cette vague de soulèvements s'est mise en branle.
La Tunisie, aussi bien que ses voisines Egypte et Libye, a été sérieusement affectée par des dysfonctionnements politique et économique, par la violence terroriste et la profonde polarisation qui oppose, depuis la chute de la dictature, les forces laïques aux islamistes.
Cependant, à l'approche du troisième anniversaire de sa révolution, les dirigeants politiques du pays ont réussi à inventer la formule qui devrait servir de nouveau modèle pour la région: le compromis démocratique.
A l'instar des Frères musulmans en Egypte, les islamistes tunisiens d'Ennahdha ont remporté les premières élections démocratiques en Tunisie, et très vite ils ont perdu leur popularité en raison, notamment, de leur piètre gouvernance, y compris leur échec à contrôler la montée de la vague extrémiste.
Ennahdha a évité de se faire évincer par des manifestations populaires ou un putsch militaire.
Cependant, au lieu de faire sombrer le pays dans une lutte à mort, ainsi qu'il a été le cas pour l'Egypte dans cette confrontation entre le régime militaire, et ses alliés laïcs, et les Frères musulmans, les Tunisiens sont parvenus à conclure un marché.
Jeudi (le 9 janvier 2014, NDLR), le premier ministre d'Ennahdha a présenté sa démission et cédé la place à une équipe de technocrates qui gouvernera le pays jusqu'à la tenue des prochaines élections, cette année.
Entretemps, l'Assemblée nationale constituante a désigné une instance indépendante pour les élections (Instance des élections, IE, NDLR) et elle s'empresse à présent de boucler la nouvelle constitution dont la rédaction a été maintes fois retardée.
Les deux camps sont en droit de crier victoire. Ennahdha a évité de se faire évincer par des manifestations populaires ou un putsch militaire et il a atteint son objectif de la rédaction d'une nouvelle constitution. Les partis de l'opposition laïque peuvent se targuer d'avoir pu inclure dans la nouvelle Loi fondamentale du pays des dispositions aussi libérales que l'égalité femme-homme, les élections démocratiques et la liberté d'expression et de réunion. Les deux parties peuvent donc espérer que les prochaines élections, qui promettent d'être justes et pluralistes, donneront raison à leurs positions.
Le paradigme du nouvel ordre
En Egypte, avant et après le coup d'Etat de juillet dernier, les dirigeants américains et européens ont tenté vainement d'exercer leur pression sur les généraux et les islamistes pour qu'ils adoptent un accord semblable à celui de la Tunisie.
Que cette dernière ait réussi, avec un engagement occidental nettement moins important, tient dans une très large mesure à la démarche de Rached Ghannouchi, le fondateur d'Ennahdha, qui a contraint son mouvement à mettre de côté son agenda idéologique et à soutenir l'idée de compromis.
En choisissant pareille approche, il (le président d'Ennahdha, NDLR) a trouvé un parfait interlocuteur en la personne de Béji Caïd Essebsi, le dirigeant laïc et l'ancien Premier ministre qui, à la différence de ses homologues égyptiens, n'a pas opté pour la solution de l'intervention militaire. En Tunisie, également, les puissants syndicats (certains membres du Quartet parrainant le dialogue national, NDLR) ont joué le rôle crucial d'intermédiaire entre les différentes parties.
Certes, le pays est loin d'être stable, aujourd'hui: les grèves et manifestations se poursuivent pour protester contre la politique économique du gouvernement; et la violence jihadiste demeure une grave menace pour le processus de transition démocratique. Cependant, la Tunisie dispose de chances de pouvoir rétablir la stabilité et de retrouver la croissance économique bien plus sérieuses que celles de l'Egypte, où le conflit entre laïcs et islamistes continue de faire rage.
Si la constitution tunisienne est adoptée et que des élections libres et transparentes sont tenues, la preuve sera donnée, ce jour-là, que le rêve de démocratie libérale n'est pas un mirage dans le monde arabe. Bien au contraire, la Tunisie, qui a été le premier pays à avoir fait chuter l'ordre ancien, sera capable d'établir le paradigme du nouvel ordre.
***
Nul doute que Le ''Washington Post'' a une ligne éditoriale qui défend les intérêts américains. Comment pourrait-on imaginer qu'il en soit autrement? Il est américain et le restera. Cependant, en plus de 135 années d'existence et dans une démocratie (presque parfaite) comme celle des Etats-Unis, nous pouvons également imaginer que ce quotidien a atteint un certain degré d'objectivité défendable et qu'il mérite une certaine confiance.
Rappelons, pour la petite histoire, que WaPo est le quotidien américain qui «a eu la peau» de Richard Nixon, dans le scandale du Watergate... Grand fait du l'histoire du journalisme mondial, n'est-ce pas?
Aussi, pour notre part, nous acceptons les compliments que ce grand quotidien américain fait à notre révolution. La responsabilité nous revient de ne pas nous décevoir. Si notre 14 janvier échoue, ''Le Washington Post'' le dira et, nous, nous paierons les pots cassés.
Titre original de l'article : ''Tunisia's democratic compromises should serve as a regional model''.