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Pour certains le ministre de l'Intérieur a échoué dans sa mission et doit partir. Pour d'autres, Lotfi Ben Jeddou maîtrise bien l'instance sécuritaire qu'il dirige depuis 8 mois, et il vaudrait mieux le maintenir en poste. Besma Khalfaoui et Mbarka Brahmi s'invitent au débat... 

Par Marwan Chahla

Alors que le Premier ministre désigné Mehdi Jomaâ tente de constituer, comme il peut, une équipe gouvernementale indépendante, nombre de parties s'affairent elles aussi autour de cette formation pour que leurs voix soient entendues. Le portefeuille de l'Intérieur, peut-être plus qu'aucun autre, semble avoir attiré le plus cette attention: les uns réclament le maintien de Lotfi Ben Jeddou; les autres revendiquent son départ. Les veuves de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi font monter la tension d'un cran.

Lundi, lors d'une conférence conjointe à Tunis, Besma Belaïd et Mbarka Brahmi (veuves des deux dirigeants de gauche assassinés par des extrémistes religieux, Chokri Belaïd, le 6 février 2013, et de Mohamed Brahmi, le 25 juillet 2013), sont montées au créneau pour faire front à cette pression que tentent d'exercer certaines parties sur M. Jomaâ dans sa désignation du prochain ministre de l'Intérieur.

On ne récompense pas l'échec

En effet, depuis quelque temps déjà, la candidature de M. Ben Jeddou à sa propre succession a été soutenue, parfois «trop fortement», ainsi qu'il a été le cas des forces de l'ordre elles-mêmes, notamment par la voix de Imed Belhaj Khlifa, porte-parole de l'Union nationale des syndicats des forces de sécurité (UNSFS). Pour ce dernier, la question sécuritaire est un dossier très sensible et M. Ben Jeddou, après 8 mois de service, a finalement appris à le maîtriser.

Les veuves Belaïd et Brahmi rejettent catégoriquement l'argument selon lequel on ne change pas «un ministre indépendant qui a compris le dossier sécuritaire, qui contrôle chaque jour encore mieux la situation et qui a réalisé de bons résultats sur ce terrain». Pour elles, il n'est pas question que le sort du ministère de l'Intérieur puisse dépendre d'une seule personne et M. Ben Jeddou, surtout, a failli dans sa mission en n'ayant pas été capable d'éviter puis d'élucider les assassinats de leurs époux, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.

Besma Khalfaoui rejette l'idée selon laquelle son opposition à la reconduction de M. Ben Jeddou soit «un refus de la personne du ministre démissionnaire. Nous nous opposons plutôt à une structure. Et il se trouve que cette personne (M. Ben Jeddou, NDLR) était à la tête de cette structure qui aurait dû assumer ses responsabilités. Or, cela n'a pas eu lieu. Par conséquent, cet homme devrait quitter le ministère et céder sa place à une personne plus compétente que lui». «Que les choses soient bien claires: le départ de cet homme n'aura aucun effet négatif sur la situation dans le pays», avertit Besma Khalfaoui.

La Tunisie serait-elle stérile?

Mbarka Brahmi, plus franche comme elle a toujours été, n'a pas mâché ses mots, elle non plus: «Un ministre qui hérite d'un lourd dossier sécuritaire, comportant notamment des assassinats politiques, et que sous son mandat un autre assassinat ait été perpétré, que des agents de la sécurité et des soldats aient été tués... Pour nous, cet homme a échoué, donc, il doit partir». Et de s'interroger: «Comment oserait-on reconduire pareil homme qui a failli dans ses fonctions? La Tunisie, serait-elle stérile, à ce point? Le pays, n'aurait-il plus que le seul Lotfi Ben Jeddou pour présider à la destinée du ministère de l'Intérieur?»

L'accusation de Mbarka Brahmi est très directe et cinglante: «Les parties qui défendent, aujourd'hui, l'idée du maintien de Lotfi Ben Jeddou sont celles-là mêmes qui ne souhaiteraient pas que toute la lumière soit faite sur les assassinats qui ont marqué le mandat de cet homme et celui de son prédécesseur (Ali Laârayedh, NDLR). Il y a, donc, volonté d'étouffer la vérité».

Cette détermination de Besma Khalfaoui et Mbarka Brahmi et leur franc-parler sont bien plus que l'expression d'une douleur personnelle. Ces femmes sont, à elles deux, une bonne part de la conscience de la révolution du 14 janvier. La vie et leur malheur personnel ont voulu qu'elles soient là pour nous rappeler que certaines parties ne veulent pas du bien à la Révolution et que ces malveillants, ces comploteurs et ces usurpateurs, sont prêts à utiliser tous les moyens pour que nous ne réussissions pas nos paris modernistes et progressistes...