assange
On s’attendait à un bouleversement sans précédent dans l’histoire de la diplomatie. Grâce à des révélations chocs, Julian Assange a promis de faire tomber des têtes et de changer le monde. On est très loin du compte… Sarah Ben Hamadi


Wikileaks, la révolution est en marche… mais en marche vers quoi? Un monde plus libre? Mais pour ça, il faut déjà gagner l’Infowar, ce qui n’est pas – encore – le cas, car si Assange a réussi à déballer ce qui était sensé être des secrets d’Etat, les conséquences de ce déballage ne sont pas forcément celles attendues ou disons espérées par l’auteur de la plus grande fuite d’informations de tous les temps.

C’est loin d’être une affaire de geek
Bizarrement, les câbles relayés n’ont fait qu’officialiser tout ce que tout le monde soupçonnait. Rien de compromettant pour les puissances que Julian Assange promettait de mettre dans l’embarras. Pis, les révélations concernant les ordres donnés par Hilary Clinton à ses diplomates: espionner les représentants, n’ont fait scandale ni chez l’Oncle Sam ni au siège de l’ONU, ni ailleurs. Pas de démission en vue pour Mme Clinton. Les gouvernements qu’Assange voulait faire tomber se soudent et affichent leur soutien, et ce n’est sans doute pas les appréciations des diplomates américains sur les tempéraments de tel ou tel chef d’Etat qui changeraient les choses.
D’ailleurs, prenons le cas de Nicolas Sarkozy, décrit comme autoritaire et susceptible: on sait bien que les mots utilisés par la presse française et étrangère à son égard sont beaucoup plus durs que ces pâles adjectifs.



Alors, on diffuse des informations, mais faut-il encore savoir les diffuser, et là c’est loin d’être une affaire de geek!
Être un as de la technologie c’est bien, mais la stratégie politique, c’est autre chose ! On balance des informations confidentielles, auxquelles personne n’aurait dû avoir accès, le top secret de chez secret. Résultat des courses, les gouvernements affichent leur soutien les uns aux autres, le reste du monde s’en fout… ou presque.

Les ennemis d’Internet se frottent les mains
Plus mauvais encore, aujourd’hui, et alors qu’il n’y a eu aucun incident politique suite à ses révélations – ou pas encore du moins –, les discours prônant la censure et la filtration du web se multiplient et pire, se justifient, non pas chez les dictatures, mais chez les démocraties qui parlent désormais de réglementation du web pour faire dans la langue de bois.
Le 15 décembre en France, on a même parlé du «décès» de l’Internet français, suite à un vote de l’assemblée nationale d’un article permettant la censure d’Internet par le ministère de l’Intérieur sans intervention de l’autorité judiciaire et d’établir une liste noire des sites à bloquer au niveau du FAI (fournisseur d’accès à Internet). C’est dire si cela devient vraiment inquiétant...
Et d’ailleurs, ça devient tellement inquiétant que la voix des amateurs de la théorie du complot commencent à se faire entendre: Assange et son Wikileaks seraient la supercherie du siècle, surtout qu’Israël (oui dans la théorie du complot, Israël est une donnée fixe) est le grand gagnant de cette opération. Pas un mot sur le massacre de Gaza. Mieux encore: les câbles de Wikileaks nous apprennent que le monde arabe attend qu’Israël le débarrasse de l’Iran qui présente bien une menace mondiale et qu’Israël avait raison sur toute la ligne, comme le titre le ‘‘Courrier International’’. D’ailleurs, on apprend aussi que l’Arabie Saoudite a appelé Washington à frapper l’Iran et «couper la tête du serpent».



Mais bon, vous l’aurez compris, je ne suis pas adepte des théories du complot, hein? N’oublions tout de même pas que le pauvre Bradley Manning, le soldat américain tenu responsable de tout cette fuite, serait en isolement carcéral et à la limite de la torture. Et puis il y a aussi tout ce sabotage de Wikileaks, Amazon qui cède aux pressions et met fin à son hébergement du site sur son cloud, les fermetures de comptes bancaires… Mais rassurez-vous, défenseurs de la libre information (j’avoue avoir ici des réserves sur le terme «libre») une armée d’anonymes baptisée «Anonymous» est là pour soutenir Wikileaks avec une opération Leakspin.
Maintenant, revenons aux médias. Il est sans doute utile de rappeler qu’au départ Wikileaks (qui existe depuis 2006) ne faisait pas appel aux médias pour diffuser ses infos. Son premier grand coup (pas première révélation), c’était en avril 2010 avec la vidéo du raid américain en Afghanistan causant la mort de deux journalistes de Reuters.

Une banale source d’information
Juillet 2010, et pour les Warlogs, documents de l’armée américaine en Afghanistan, Wikileaks fait appel à 3 journaux (‘‘New York Times’’, ‘‘The Guardian’’ et ‘‘Der Spiegel’’) à ses conditions. Mais cette fois, ce sont 5 journaux (les 3 précités, plus ‘‘Le Monde’’ et ‘‘El Pais’’) de 5 pays différents, qui auront «le privilège» de trier l’information à diffuser, à «leurs» conditions. Mais alors, pourquoi, Assange, défenseur de la libre information, décide-t-il  soudainement de passer par les circuits traditionnels pour diffuser ces informations? Il devait dicter ses lois, désormais il les subit. Quelle est la position d’Assange quand le ‘‘New York Times’’ prévient le gouvernement américain des thèmes des câbles-gate à diffuser avant de le faire et que la version de ce dernier a, dans certains cas, été prise en considération dans la diffusion des infos.
Peut-on encore parler d’information libre voire «compromettante» pour ceux qui dominent le monde?
Cette fois, les médias ont pris la main et donc le dessus, Wikileaks tombe dans le statut d’une source banale de journalistes... C’était sans compter la naissance d’un concurrent de Wikileaks, créé par d’anciens collaborateurs d’Assange, qui, désormais en conflit avec lui, ont décidé de lancer un projet similaire pour le déstabiliser. Il s’agit d’Openleaks. Cher spectateur, l’Infowar continue!

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