En déplacement à Paris, Néjib Chebbi, le président d'Al-Jomhouri, a accordé une interview à notre confrère Eric Delvaux, diffusée lors du «5/7» de la radio France Inter, mardi matin. Nous en présentons ci-dessous la transcription intégrale. Podcast.
Entretien réalisé par Eric Delvaux et retranscrit par Marwan Chahla
France Inter : Trois semaines après l'adoption de la nouvelle constitution tunisienne et en attendant les prochaines élections présidentielles et législatives qui se tiendront cette année, quel rôle comptez-vous jouer? Tout d'abord, comment expliquez-vous ce qui a fait basculer la Tunisie sur la voie de la démocratie? Rappelons qu'il y a à peine quelques mois, Ennahdha, alors à la tête du gouvernement, voulait encore réaffirmer l'ancrage islamiste du pays. Qu'est-ce qui a poussé Ennahdha à remettre le pouvoir?
Ahmed Néjib Chebbi: Il y a là indéniablement une donnée fondamentale, à savoir l'ouverture de la Tunisie. C'est un pays ouvert depuis très longtemps. Nous avons donc une société civile extrêmement dynamique qui a joué un rôle dans la rédaction de la Constitution par les mouvements qu'elle a engagés. Il y a eu une forte pression sociale. Il y a en Tunisie un équilibre de forces qui a fait qu'on a produit une Constitution consensuelle votée par 200 députés sur un ensemble de 217.
Encore faudra-t-il passer par des élections législatives et présidentielles, cette année. Serez-vous candidat?
Oui, j'y pense, mais la décision sera prise lorsque la date de ce scrutin sera connue et que la loi aussi. Je suis une des personnalités concernées par cette échéance électorale.
En fonction de quoi prendrez-vous votre décision?
D'abord, j'ai un sentiment du devoir. Notre pays est à une phase critique de son évolution historique. J'ai 50 ans à mon actif d'action politique pour la démocratie et le progrès social. Donc, nous avons dans notre Parti républicain (Al-Jomhouri, NDLR) des valeurs: la démocratie libérale, le progrès social et le réformisme tunisien, cette démarche, qui a vu le jour à la fin du 19e siècle, qui allie modernité et legs historique de la Tunisie. Et nous avons surtout une vision pour l'avenir. Les Tunisiens ont fait la Révolution et, aujourd'hui, ils sont encore en attente de la réalisation des objectifs de cette révolution, tels que l'emploi des jeunes et le développement des régions...
Chebbi croqué par le peintre tunisien résident au Canada Hanafi.
Justement, parlons-en de cette économie tunisienne qui s'est forcément détériorée, depuis 3 ans, avec un taux de chômage autour 15 ou 16% aujourd'hui. Comment relancer l'activité économique en Tunisie, autrement que par l'embauche de fonctionnaires comme cela s'est passé récemment?
Cela a été une grave erreur. C'était une démarche clientéliste: des dizaines de milliers ont été intégrés dans la fonction publique. Cela n'a servi qu'à vider les caisses de l'Etat et c'est là un des problèmes les plus sérieux auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui.
Pour nous, la solution consiste à investir massivement dans les infrastructures et les équipements collectifs. C'est ce qui créera les conditions favorables pour l'investissement. Et le deuxième volet (du programme économique d'Al-Jomhouri, NDLR) consiste à encourager, par des fonds de développement, les petites et moyennes entreprises. Ce sont ces dernières qui créent les richesses. Ce sont elles qui créent la prospérité et génèrent des emplois durables.
Il y a aussi, bien évidemment, la coopération internationale, sans laquelle nous ne pouvons rien faire.
Justement, qu'attendez-vous de la France, dans cette perspective? Souhaiteriez-vous, par exemple, qu'elle annule la dette de la Tunisie, ainsi que le demande, d'ailleurs, le ministre de l'Economie?
Non, personnellement, je ne réclame pas l'annulation de notre dette. Il faut être solvable: une fois qu'on a emprunté, il faut rembourser sa dette.
Nous attendons beaucoup de la France. La France est notre premier partenaire économique. Bien sûr, nous attendons beaucoup de notre coopération avec la France. Mais il faut également que l'on compte sur nous-mêmes: il s'agira de mobiliser de l'argent localement. Cela sera insuffisant, on le sait.
Donc, il nous faudra des prêts et, pour pouvoir prétendre à des prêts, il faut être solvable et être capable d'honorer ses engagements.
Un mot sur les forces de sécurité tunisiennes, qui ont multiplié ces dernières semaines leurs opérations contre les activistes islamistes. Craignez-vous une réaction violente des groupes comme Ansar Charia que Washington, par exemple, qualifie de terroriste?
C'est un phénomène marginal en Tunisie. Ils (les djihadistes, NDLR) profitent de l'état de liberté qui prévaut dans le pays et de l'affaiblissement relatif de l'Etat pour développer leur action. Il faudrait les combattre avec rigueur, mais dans le respect des droits de l'Homme et l'Etat de droit, d'une part, et en luttant contre la pauvreté et le désœuvrement des jeunes, qui constitue le terreau de ce phénomène du terrorisme, d'autre part.