Selon une étude récente réalisée par Thomson Reuters, la recherche tunisienne n’est pas aussi faible qu’on le pense. Elle se porte même mieux que dans la plupart des pays à niveau de développement comparable. Ridha Kéfi
L’étude intitulée «La recherche tunisienne dans le Web of Knowledge», a été réalisée par le Dr Guillaume Rivalle, expert à l’agence Thompson Reuters. On y apprend, par exemple, que le nombre de publications scientifiques tunisiennes dans le Web of Knowledge entre 1967 et 2009 s’élève à 37.161, entre articles, éditoriaux, synthèses, livres, brevets, etc. Sur ce total, les publications tunisiennes dans le Web of Science sont prépondérantes, puisqu’elles s’élèvent à 26.162, soit près des deux tiers.
Pour réaliser son enquête, Dr Rivalle a consulté 11.800 revues et des milliers de conférences en sciences, sciences sociales, et arts et humanités, mais aussi 48 millions de publications indexées, de nombreuses archives, le plus vaste index de citations rigoureusement sélectionnées à partir de critères (Journal selection process), de manière transparente et objective, au cours d’un processus indépendant de toute maison d’édition, précise-t-il.
Rayonnement international des recherches tunisiennes
Outre les statistiques relatives au positionnement de la recherche tunisienne sur le Web, le chercheur analyse aussi l’impact international de cette recherche, en se fondant sur l’indicateur d’influence de revue le plus reconnu et utilisé.
Passant en revue la production scientifique des 4 grandes institutions universitaires tunisiennes, Dr Rivalle indique que l’Université de Tunis El-Manar, la plus ancienne, est passée entre 1973 et 2009 de 20 à 880 recherches. L’Université du 7 Novembre à Carthage est passée, pour sa part, entre 1986 et 2009, de 20 à 430. Durant la même période, l’Université de Monastir est passée de 20 à 450. La plus jeune des quatre universités, celle de Sfax, est passée, quant à elle, entre 1995 et 2009, de 20 à 250 recherches.
S’agissant du rayonnement international des recherches tunisiennes, Dr Rivalle indique qu’elles sont citées par plus de 110.000 publications indexées sur le Web of Science. Ces publications se répartissent géographiquement comme suit: Etats-Unis (13,3%), France (13,1%), Chine (4,6%), Italie (4,3%), Angleterre (4,3%), Espagne (3,8%), Japon (2,3%) et Turquie (2,2%).
Les chercheurs tunisiens, qui sont en majorité francophones, collaborent essentiellement avec leurs homologues basés en France (28%). Ils collaborent aussi avec des homologues aux Etats-Unis (3%), en Italie (2%), au Canada (1,5%), en Espagne (1,5%), en Belgique (1,3%), en Grande-Bretagne (1,3%), en Allemagne (1,2%), au Maroc (1%) et en Algérie (0,7%).
Prépondérance de la recherche biologique et médicale
Selon le Dr Rivaille, les recherches tunisiennes ont un certain impact international dans seulement trois domaines: la chimie, la médecine clinique et l’ingénierie.
Les publications tunisiennes en neurologie, génétique et biologie moléculaire sont cependant les plus souvent citées, surtout à partir des années 1990. Les travaux les plus cités dans ce domaine sont ceux du Pr Fayçal Hentati et, surtout, du Pr Mongi Ben Hamida, père de la neurologie tunisienne, fondateur de l’Institut national de neurologie (Inn), qui reste le chercheur tunisien dont les publications dans le Web of Science ont reçu le plus d’attention de la part de la communauté scientifique mondiale. Les citations de ses recherches ont enregistré des pics en 1993, 1994, 1995 et 1998. Ces recherches continuent d’ailleurs d’influencer les publications internationales pratiquement dans les cinq continents, mais surtout aux Etats-Unis et en Europe.
La répartition par institution des recherches tunisiennes en neurologie, génétique et biologie moléculaire laisse apparaître une prépondérance de l’Institut national de neurologie (Inn) qui est cité 101 fois, suivi de la Faculté de sciences de Tunis (98 fois), l’Institut Pasteur de Tunis (79), la Faculté de Médecine de Tunis (42) et l’Hôpital Charles Nicole (39).
La répartition thématique des publications tunisiennes montre, quant à elle, une prééminence de la médecine clinique (24% de la production totale). Viennent ensuite la chimie (13%), l’ingénierie (9%), les sciences physiques (8,8%), les sciences animales et des plantes (7%), les mathématiques (6%), les sciences des matériaux (5,9%), la biologie et biochimie (5,8%), l’agronomie (3,5%), les géosciences (3,4), l’environnement et l’écologie (3%), la microbiologie (3%), l’informatique (2,9%), la génétique et biologie moléculaire (2,8%), la pharmacologie et toxicologie (2,6%), la neuroscience et comportement (2,5%), l’immunologie (2,5%), les sciences sociales (1,8%), l’économie et business (1,5%), les science de l’espace (1 %) et, enfin, la psychiatrie-psychologie (0,5%).
Au cours de la période 2005-2009, la Tunisie se situe parmi les 5 premières nations africaines (avec l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Maroc et l’Algérie) pour ses publications dans 19 disciplines (sur 22). Elle est 2e en médecine clinique, science des matériaux, mathématiques, microbiologie, génétique et biologie moléculaire et en neuroscience et comportement. Elle arrive en 3e position en biologie et biochimie, chimie, informatique, ingénierie, géosciences, pharmacologie et toxicologie et en sciences physiques. Quatrième en agronomie, environnement/écologie et en sciences animales et des plantes, elle occupe cependant la 5e position en économie et business, immunologie et sciences de l’espace.
270 publications pour 1 million d’habitants
En 2009, les publications scientifiques tunisiennes se sont élevées à environ 4.300, un peu plus que l’Arabie saoudite (4.200), l’Algérie (3.200) et le Maroc (3.100).
En décomptes absolus, la Tunisie est dépassée par deux pays à niveau de développement comparable: l’Afrique du Sud, bien sûr (14.000) et l’Egypte (10.100). En nombre de publications par million d’habitants, notre pays surclasse cependant ces deux pays et arrive largement en tête avec 270 publications pour 1 million d’habitants, suivie par l’Afrique du Sud (150), l’Arabie Saoudite (75), l’Algérie (50) et le Maroc (40).
En termes d’impact par million d’habitants, l’Afrique du Sud reprend la tête de ce Top 5 avec 65 points, suivie par la Tunisie (60), l’Arabie Saoudite (20), l’Egypte (18), le Maroc (12) et l’Algérie (11).
Le comparatif de la production scientifique de la Tunisie avec celle d’un «dragon d’Asie», la Malaisie en l’occurrence, laisse apparaître une courbe de progression assez comparable. Mais si la production scientifique de la Malaisie est passée de 1.200 durant la période 1981-1985 à 13.000 en 2005-2009, celle de la Tunisie est passée, durant les deux périodes considérées de 600 à 9.000. En nombre d’études par million d’habitants, c’est encore la Tunisie (10 millions d’habitants) qui fait mieux que la Malaisie (26 millions).
De là à comparer la Tunisie à un «dragon d’Afrique»…