Dans un entretien diffusé, lundi soir, par les chaînes Watania 1 et Nessma, Mehdi Jomaâ a indiqué que le travail de son gouvernement «se fonde sur une légitimité consensuelle.» Et a besoin de «la solidarité et de l'appui de toutes les parties».
Par Imed Bahri
Tout en se montrant conscient de la difficulté de la tâche qui l'attend, le chef du gouvernement provisoire ne s'est pas déparé, tout au long de l'entretien, d'un certain optimiste, celui de l'action.
Préparer les élections
Interrogé sur l'état d'esprit des membres de son cabinet, M. Jomaa a précisé: «J'étais clair avec eux dès le début. Je leur ai dit qu'il s'agit d'une mission nationale et pour une courte période. Ils vont redonner au pays ce qu'ils lui doivent, laisser de côté leur plan de carrière et faire des sacrifices. Ils ont tous accepté».
M. Jomaa sait que sa tâche principale consiste à préparer les élections prévues avant la fin de l'année, car «il est dans l'intérêt du pays de tourner la dernière page de la transition démocratique.»
«Une nouvelle Constitution a été promulguée qui va installer la Tunisie dans une démocratie pour plusieurs générations. La vision commence à se clarifier, mais elle sera plus claire quand on aura achevé la période provisoire», a insisté le chef du gouvernement provisoire. Aussi sa principale priorité est-elle la mise en place des conditions d'élections libres et transparentes, dont les résultats seraient acceptés par toutes les parties. «Pour cela, nous devons assurer la sécurité, lutter contre le terrorisme et améliorer la situation socio-économique», a précisé M. Jomaa.
Dans ce contexte, la marge de manoeuvre est d'autant plus réduite que «le temps est court et les problèmes héritées sont énormes». Comment faire? Réponse du Premier ministre: «Pour être pratique, nous avons commencé par faire une évaluation de la situation pour voir à quel niveau on peut mener des actions pouvant porter leurs fruits à court terme. Mais aussi pour identifier les actions à moyen et long termes et les réformes à mettre en route pour préparer le terrain au prochain gouvernement».
Assurer la neutralité de l'administration
M. Jomaa sait qu'il est attendu sur la question de la révision des nominations effectuées par les deux précédents gouvernements dans l'administration publique sur une base partisane. Cette question fait partie de la feuille de route du Dialogue national en vertu duquel le gouvernement Jomaa a été constitué. «Nous-nous sommes engagés à respecter la feuille de route, mais nous avons préféré ne pas prendre des décisions hâtives et non fondées sur des critères claires. Et cela est valable pour les nominations», a indiqué, à ce propos, M. Jomaa. Et de préciser: «Chaque département doit étudier cette question à son niveau. Les critères retenus dans la révision des nominations sont la neutralité politique, l'indépendance, la compétence et l'intégrité. C'est sur cette base qu'a été effectué le changement des 18 gouverneurs (annoncé vendredi dernier, NDLR).»
Il a fallu travailler 30 jours pour pouvoir trouver les bons candidats. Beaucoup de personnes sollicitées ont refusé de prendre des responsabilités, en raison de la situation difficile dans le pays ou pour des considérations personnelles. Il va falloir maintenant revoir les nominations à la tête des 264 délégations que compte le pays. Et ce sont les nouveaux gouverneurs qui vont s'atteler à cette tâche en concertation avec l'administration centrale. Ce ne sera pas une sinécure, mais il faut assurer la neutralité de l'administration en prévision des prochaines élections.
En ce qui concerne la dissolution des Ligues de protection de la révolution (LPR), des milices au service du parti islamiste Ennahdha, M. Jomaa a déclaré que son cabinet est en train d'évaluer la situation. «Nous allons agir au cas par cas et appliquer la loi pour sanctionner tout abus», a-t-il précisé. «Il y a eu des menaces contre les juges et les agents de l'ordre. La loi doit être appliquée et la justice est en train de travailler sur beaucoup dossiers», a-t-il ajouté, faisant allusion à l'arrestation, la semaine dernière, de l'activiste Imed Dghij, membre de ces LPR.
Renforcer la lutte antiterroriste
Concernant les mosquées qui sont encore contrôlées par des extrémistes religieux, l'évaluation est également en cours, mais des actions ont déjà été menées par son gouvernement pour imposer le contrôle de l'Etat sur 9 des 148 mosquées qui lui échappaient. Quatre ministères travaillent ensemble sur ce dossier: l'Intérieur, la Justice, les Affaires religieuses et les Domaines de l'Etat. Un programme a été mis en route pour assurer la neutralité des mosquées et il va se poursuivre.
La lutte anti-terroriste est le dossier le plus urgent et celui sur lequel M. Jomaa avoue avoir le plus travaillé au cours des 30 derniers jours.
«Les opérations Raoued et du quartier Ennassim, à l'Ariana, ont frappé le bras armé du mouvement qui essaie de s'attaquer aux bases de l'Etat», a affirmé le Premier ministre, par allusion à l'organisation terroriste Ansar Charia. «Au lendemain de la révolution, il y a eu une rupture entre les agents de sécurité et les citoyens. La période de passage à vide a permis le développement des cellules terroristes. Maintenant il y a un rapprochement avec les citoyens et les agents de l'ordre. L'institution sécuritaire est en train de se restructurer et de renforcer ses moyens pour combattre le terrorisme», a-t-il encore assuré.
Reste que «la menace terroriste est toujours présente, dans les montagnes, mais aussi dans les villes. Nous devons nous attendre à d'autres attaques. C'est un combat de longue haleine», a admis M. Jomaa. Qui s'est cependant empressé d'ajouter: «Nous sommes déterminés à mettre les moyens pour le combattre à tous les niveaux : sécuritaire, social, etc.».
Concernant les Tunisiens partis au jihad en Syrie, le Premier ministre a eu le courage d'avouer que les services tunisiens ne sont pas vraiment prêts à traiter avec ceux d'entre eux qui vont rentrer au pays, mais qu'ils s'y préparent sérieusement. Ils vont s'inspirer, dans ce domaine, des expériences de leurs homologues algériens et marocains qui ont des approches spécifiques de ce problème. «Nous avons une collaboration sécuritaire opérationnelle avec nos frères algériens. Mais aussi avec le Maroc et les Etats-Unis, qui vont nous aider matériellement», a dit M. Jomaa.
Sur un plan diplomatique, des concertations sont en cours avec la présidence provisoire de la république en vue d'assurer bientôt une présence administrative tunisienne en Syrie chargée de régler le problème des Tunisiens résidant dans ce pays, l'ambassade tunisienne à Damas étant fermée depuis 2011.
Interrogé sur la rumeur relative à la mise en place d'une base militaire américaine dans le sud tunisien, M. Jomaa a assuré que ce sujet n'a jamais été discuté avec les Etats-Unis. «Le dialogue stratégique qui va être mis en place entre les deux pays n'a pas de rapport avec une base militaire. Il s'agit d'attirer des investissements américains et de développer les échanges commerciaux entre les deux pays», a-t-il tenu aussi à préciser.