Alors que la ville frontalière de Ben Guerdane brûle, les trois têtes de l'Etat voyagent à travers le monde pour vendre l'image d'un pays «sûr». Vous avez dit irresponsables?
Par Moncef Gouja
Des évènements graves secouent la ville frontalière de Ben Guerdane et une grève générale est décrétée par l'UGTT, suite à l'incendie qui avait ravagé le siège de cette organisation.
La crise a commencé avec la fermeture, du côté Libyen, du point de passage de Ras Jedir, ce qui a poussé des jeunes à protester et à se livrer à des actes de vandalisme, contrés par une réaction policière mesurée, avant que les forces de l'ordre ne se retirent selon certaines sources laissant la ville aux pilleurs et autres incendiaires.
L'étrange silence de Tunis
Alors que l'UGTT accuse les autorités de faillir à leur devoir de protéger ses bureaux et ses militants, tout se passe dans un silence absolu des autorités centrales et notamment du ministre de l'Intérieur.
Les partis politiques et la société civile se taisent, eux aussi, comme si Ben Guerdane ne fait pas partie du territoire tunisien. Imaginons que de tels évènements ont eu lieu à Tunis, Sfax ou Sousse ! Tous les chefs des partis se seraient empressés de réagir. Tout se passe comme si Ben Guerdane ne les concerne pas outre mesure! Aucun chef de parti n'est allé sur place pour essayer de résoudre la crise. D'ailleurs, parler de partis politiques, là-bas, est un non-sens. On appartient à telle ou telle tribu ou à tel ou tel réseau de contrebande, et non seulement après le 14 Janvier 2011. Même des barons de l'ex-RCD, originaires de la région, ont fait leurs fortunes grâce à la contrebande. Cela n'a jamais été considéré comme un crime de se livrer à ce commerce chez les Benguerdanais, comme pour les autres régions limitrophes de nos frontières! C'est juste un acte illégal. D'ailleurs, lorsqu'il est pris, le «contrebandier» s'en sort avec une contravention douanière.
Une plaque-tournante de la contrebande en tous genres.
De père en fils, ce commerce très lucratif était la manne de cette ville de plus de 70.000 habitants, selon le recensement de 2002. Les autorités tunisiennes, depuis l'Indépendance, fermaient les yeux, car c'est une source sûre de devises et c'est la seule région où l'on pouvait échanger le dinar contre toutes sortes de monnaies étrangères. La balance commerciale de Ben Guerdane était en faveur de la Tunisie pour des raisons qu'il est long à expliquer dans cet article.
Le danger vient du sud
La donne a changé depuis l'intervention de l'Otan en Libye et la destruction de l'Etat Libyen, qui, qu'on le veuille ou non, protégeait notre frontière sud. Cette situation a été compliquée par l'affaiblissement de l'Etat tunisien.
Ben Guerdane est ainsi devenue l'épicentre d'un trafic d'armes et de drogue, mais surtout une plateforme pour l'«exportation» de jihadistes vers le Proche-Orient et notamment pour la Syrie et l'Irak.
Selon le site ''Al Charq'', proche des Saoudiens, plus de 8.000 tunisiens ont transité par cette ville pour rejoindre les organisations jihadistes. On dit même que l'ex-émir d'Al-Qaida en Irak Abou Mossab Zarqaoui avait déclaré: «Dommage que Ben Guerdane ne soit pas à la place de Fallouja, j'aurais réussi à imposer l'Etat islamique sur tout l'Irak. C'est pour cela que l'organisation terroriste Ansar Charia a installé son fief dans cette ville, juste quelques mois après la révolution de janvier 2011. Rappelons-nous du témoignage de l'actrice Leila Chebbi à propos de sa discussion avec l'un des émirs salafistes que personne n'avait alors pris au sérieux! C'est par cette ville également qu'Abou Iyadh, le chef d'Ansar Charia, a transité pour fuir en Libye et que des quantités d'armes ont étés acheminées vers des caches un peu partout en Tunisie, et dont la police a pu saisir une partie. Tout le monde sait que même des habitants pacifiques de cette zône, pour se défendre, vont faire leur shopping en armes dans cette ville, malgré les grands efforts déployés par la police et les douanes.
Au paradis des contrebandiers, tout passe: jihadistes, drogue, armes, alcool, carburant et tuttui quanti.
Des «présidents» aux abonnés absents
Ce qui est scandaleux c'est de voir une ville aussi stratégique pour notre sécurité livrée à l'anarchie, et les trois têtes de l'Etat partir à l'étranger pour vendre l'image d'un pays «sûr». Aucun des trois «présidents» n'a cru bon d'écourter sa visite ou faire une déclaration d'apaisement à l'égard de la population de cette région. Le président de la république et de surcroit chef des forces armées, aussi provisoire qu'il soit, se paye même le luxe de se transformer en VRP du tourisme, alors que Mme Karboul, la ministre en poste, s'en sort plutôt bien dans cette tâche.
On ne sait plus qui fait quoi dans cet exécutif! Il aurait mieux fait d'aller en Libye pour parler à ses amis là-bas pour qu'ils ouvrent le passage frontalier.
Le feu qui couve à Ben Guerdane risque de s'étendre et toucher tout le sud. La lutte contre la contrebande fait partie intégrante de la lutte contre le terrorisme et une situation d'anarchie totale dans cette ville clef risque de saper tous les efforts consentis jusque-là pour imposer l'ordre et la sécurité. La grande question reste cependant: à qui profite ce crime?