Mehdi Jomaa, de retour des Etats-Unis, a déclaré que les aides qu'on lui a promises sont conditionnées par l'établissement de la sécurité. Qui a prêté attention à sa déclaration?
Par Moncef Gouja
L'occasion de commémorer l'anniversaire du décès du Zaïm Habib Bourguiba, ce 6 avril, a donné lieu à des polémiques, des débats, des surenchères idéologiques ainsi qu'à des commentaires sur Facebook, tous virulents, comme s'il s'agit d'un enjeu crucial pour l'avenir du pays.
Du coup, la préparation d'attentats par un groupe de salafistes à Sfax, découvert par hasard grâce à l'amateurisme de l'un des deux apprentis terroristes qui a sauté avec son compagnon en manipulant son engin de mort, ainsi que la déclaration de Mehdi Jomaa, à son retour des Etats-Unis, sont passées comme des faits divers, ce qui prouve que la Tunisie est toujours malade de ses médias.
Le passé brouille l'avenir
En réalité, c'est cet engouement des Tunisiens à discuter de leur passé plus que de leur avenir qui explique cet intérêt pour commémorer avec tant d'insistance le 14e anniversaire du décès du «Combattant Suprême». Peut-être aussi la visite trop matinale effectuée par le président provisoire de la république, Moncef Marzouki, à son mausolée à Monastir et les chamailleries inter-destouriennes pour récupérer, croient-ils, son héritage ! Enfin c'est cette tendance des médias à chercher le sensationnel là il ou n'y a pas.
Lorsqu'un Premier ministre, de retour d'un voyage aussi important aux Etats-Unis, après avoir rencontré les maîtres du monde, déclare, quelques minutes après l'atterrissage de son avion, que les aides économiques qu'on lui a promises sont conditionnées par l'établissement de la sécurité, et que cette information capitale est citée comme un fait anodin, cela signifie encore, que nos médias dorment toujours sur leurs lauriers.
C'est une déclaration lourde de sens et de significations surtout qu'au même instant où il parlait, Ben Guerdane continue à brûler et la ville reste en hors du contrôle de l'Etat et que le ministère de l'Intérieur, à travers un communiqué laconique, annonce l'arrestation de 8 jihadistes suite à sa découverte accidentelle d'une manufacture de bombes dans la banlieue de Sfax, la deuxième grande ville du pays.
La plus terrible des situations pour un pays c'est lorsque le terrorisme devient un acte banal et lorsque les annonces lourdes de conséquences deviennent un fait divers. Les Tunisiens sont-ils devenus autistes? Il y a lieu de le craindre.
Un «pipe» pour respirer
La Tunisie est loin de voir le bout du tunnel. Car, rétablir la sécurité pour pouvoir bénéficier des prêts, que la Banque mondiale, les Etats Unis, le FMI veulent bien cautionner, et dont la valeur est loin de couvrir les besoins urgents en liquidité nécessaire à l'Etat pour ses fonctionnaires au cours des mois à venir, est une condition qui semble impossible à réaliser, par un gouvernement de technocrates et par un exécutif aussi faible. Comme le dirait le proverbe tunisien: «Le célibataire qui conditionne son mariage avec la veuve: Redeviens vierge et je t'épouserais». Car la condition principale pour que notre gouvernement réussisse à rétablir la sécurité est d'avoir d'abord les moyens financiers pour le faire, grâce (il n'a pas le choix) à des prêts. Or ni les pays frères ni les pays amis ne l'entendent ainsi.
Veut-on pousser le pays vers d'autres choix, comme la «solution à l'Egyptienne»? On est parfois en droit de se poser cette question. N'a-t-on pas crié sur tous les toits qu'un gouvernement de technocrates aura tous les soutiens financiers qu'il désire? C'est vrai que les promesses n'engagent que ceux qui y croient, mais quand même! Que peuvent faire 500 millions de dollars de garantie ou les quelques centaines de millions en plus de prêts pour un Etat qui a besoin de 12 milliards de dinar pour boucler son budget de l'année en cours?
A l'évidence, alors qu'on a la tête sous l'eau grâce à la Troïka et à son «meilleur gouvernement de l'Histoire», on nous prête juste un «pipe» pour respirer. La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a et c'est le cas de notre pauvre gouvernement de technocrates. Nos ministres ont beau être compétents, ils ne vont pas réinventer la roue. Les lois de l'économie libérale sont impitoyables et la plus implacable est celle-ci: On ne prête qu'aux riches! Et la Tunisie est plus pauvre que jamais.
M. Jomaa devrait s'inspirer de Winston Churchil à la veille de la seconde guerre. Il doit s'adresser aux Tunisiens, sans intermédiaires, et leurs dire : «Je ne vous promet que du sang et des larmes...»