Rached Ghannouchi, qui plie devant l'obstacle et esquive les attaques, s'impose, peu-à-peu, comme le seul à parler au nom d'Ennahdha.
Par Moncef Gouja
Un vieux proverbe arabe dit que la guerre est ruse, Rached Ghannouchi pense de même pour la politique.
Dans une interview bien arrangée, le président du parti islamiste se livre presque à un monologue, car les réponses sont déjà dans les questions, et balance ses réponses, tout-à-fait à l'aise, pour ceux qui veulent bien l'entendre.
Islamiste oui, mais pas Frère musulman!
Selon lui, Ennahdha n'a rien à voir avec l'organisation mondiale des Frères musulmans, qui est «une organisation égyptienne», alors qu'Ennahdha est une organisation de droit tunisien. La journaliste n'a même pas insisté! De quoi mourir de rire! Parce qu'Ennahdha et l'organisation des Frères d'Egypte, qui existe de fait depuis 1926, étaient légales avant le prétendu «printemps arabes»? Parce que l'allégeance prêtée par Ghannouchi, Abdelfattah Mourou et H'mida Ennaifer, fondateurs du Mouvement de tendance islamique (MTI), au Guide Suprême (Al-Morshid Al-Aam) des «Frères» est une invention de journalistes? Parce que la présence des dirigeants d'Ennahdha à tous les congrès des «Frères» est une pure affabulation des médias hostiles?
En tout cas, Ghannouchi renie ses «Frères», comme lorsque Hasan El-Banna avait renié les dirigeants de son organisation secrète, qui avaient assassiné le Premier ministre égyptien de l'époque Al-Nagrachi Pacha, en s'exclamant: «Ils ne sont ni frères, ni musulmans!»
Plus que cela, il dénonce à bout de lèvres les condamnations à mort qui les frappe sans critiquer une seule fois le nouveau régime égyptien. Il noie sa condamnation dans celle de de l'Assemblée nationale constituante (ANC), tout en appelant au dialogue national en Egypte, pour lequel il compte s'employer vraisemblablement.
Clins d'oeil et appels du pied
Mais le clou de l'interview, c'est lorsqu'il écarte d'une main la possible candidature de Hamadi Jebali, l'ancien Premier ministre, à la présidentielle au nom d'Ennahdha, son parti de toujours, mais n'exclut pas qu'Ennahdha soutienne celle de Béji Caïd Essebsi, ancien Premier ministre et président de Nida Tounes, parti qui s'est tout de même construit sur une hostilité de principe au parti islamiste. Jolie coup de maître qui laisserait pantois tous ceux qui, jusqu'à maintenant ont espéré êtres les heureux élus de la formation islamiste.
Moncef Marzouki, le président provisoire de la république et président d'honneur du Congrès pour la république (CPR), Mustapha Ben Jaâfar, le président de l'ANC et président d'Ettakatol, Néjib Chebbi, le président du haut comité politique du Parti Républicain (Al-Jomhouri), et autres prétendants n'ont qu'à aller se ré-habiller! La leçon est finie. De toute façon, tous ces partis auront leurs parts du gâteau dans le «gouvernement d'union nationale» après les élections, ceux certainement qui resteront sages jusque-là.
Rached Ghannouchi renvoie ainsi l'ascenseur à Caïd Essebsi, qui, sans rire, avait affirmé qu'Ennahdha n'appartient pas à l'organisation mondiale des Frères musulmans! C'est une organisation tunisienne, avait-il déclaré sur le même plateau, il y a quelques semaines, jouant sur le statut juridique du parti politique, tout en glissant sournoisement: «Mais, il semblerait qu'on propose à M. Ghannouchi de prendre sa tête!» C'est de la haute voltige politique dont est devenu maître Caïd Essebsi! Ce, à quoi Ghannouchi rétorque, sans démentir l'information: «Non je resterais président d'une organisation tunisienne, Ennahdha». Et il insiste sur «tunisienne», le mot-issue que lui avait soufflé le président de Nida Tounes. On se comprend bien entre vieux briscards! Tout ça évidemment pour le sacro-saint intérêt national. Pourvu que ça dure!
Seul maître à bord
Rached Ghannouchi nous livre aussi, dans le même entretien, le secret du référendum sur le report de la date du congrès de son parti. Pour lui, et il le dit sans détour pour ceux qui ne l'ont pas compris, il s'agit d'un plébiscite pour l'actuelle direction, c'est-à-dire lui-même, et un soutien aux choix politiques qu'il a fait, en plus d'autres bienfaits.
Le référendum, idée que lui aurait soufflée une boite anglaise de consulting, renforce donc la ligne choisie par le Guide après un son volte-face de 180 degrés opéré dès sa rencontre parisienne avec Caïd Essebsi et ses multiples rencontres avec l'ambassadeur d'un pays ami. Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas et Ghannouchi est loin d'en être un. Il voit l'étau se resserrer et sent le danger à distance et décide de se replier sur ses arrières avec le minimum de dégâts. Il réussit jusqu'à maintenant et tente d'apprivoiser ses plus farouches et dangereux adversaires. C'est chose faite.
Quant au gouvernement Mehdi Jomaa, il continue aussi de le soutenir, toujours «pour l'intérêt national». Il devient insaisissable, plie devant tous les coups portés, esquive toutes les attaques, aidé en cela par la connivence évidente de journalistes, bien briefés et encadrés, et par le fait que, désormais, il est le seul à parler au nom d'Ennahdha et même ceux qui sont autorisés à le faire, ne doivent que le paraphraser.
Jusqu'à maintenant Ghannouchi marque des points. Jusqu'à quand?