Invité, lundi, par Nessma TV pour une grande interview, Rached Ghannouchi a pu, pendant un peu plus d'une heure, surfer à son aise sur toutes les vagues.
Par Moncef Dhambri
Le président du parti islamiste a eu ainsi le loisir de mettre en avant l'image soft de l'islamisme nahdhaoui, présenter son projet «islamo-démocrate», véhiculer l'idée d'un parti Ennahdha modéré, revendiquer la «tunisianité» de l'islamisme nahdhaoui et offrir au public des téléspectateurs toutes les «douceurs» auxquelles il les a habitués.
L'on serait tenté de conclure que le «gourou de Montplaisir» a mené à bien son opération de communication politique (gratuite?). L'épreuve à laquelle Nessma l'a soumis était en effet incroyablement facile: il a évolué sur un terrain très amical et notre consoeur Meriem Belkadhi, qui a «préparé» une vingtaine de questions, ne lui a posé, à aucun moment, la moindre difficulté. Ce fut une véritable promenade de santé pour «le magicien nahdhaoui» et ses prestidigitations auraient pu leurrer tout monde.
Une litanie de platitudes
De bout en bout, le jeu des questions-réponses auquel Rached Ghannouchi s'est prêté a été soporifique. Meriem Belkadhi débitait ses questions presque machinalement, elle tendait gentiment ses perches, l'une après l'autre, au président d'Ennahdha et ce dernier, d'une voix monocorde, récitait ses réponses toutes faites, prévisibles où il n'a cessé d'arrondir les angles pour ne laisser que des surfaces en tous points lisses et nivelées. Des platitudes que notre consoeur n'a jamais pris la peine de creuser.
Une litanie de platitudes, pendant une heure et trois minutes, où le téléspectateur, se surprend à bailler.
Meriem Belkadhi, visiblement très enthousiasmée d'avoir décroché «son» exclusivité, qui n'en st d'ailleurs pas une, était pressée de lire sa vingtaine de questions, n'a jamais cherché à opposer au Cheikh une véritable contradiction, à l'attirer vraiment hors des terrains préférés des «islamo-démocrates», à savoir qu'ils soutiennent désormais l'idée consensuelle, qu'ils sont ouverts au dialogue, qu'ils n'ont pas d'ennemis, que la maison-Tunisie est faite pour abriter tous ses enfants, qu'Ennahdha peut commettre des erreurs, qu'il accepte de reconnaître les faux-pas de son apprentissage, que c'est un parti où la démocratie est une pratique quotidienne... Bref, une litanie de platitudes, pendant une heure et trois minutes, où le téléspectateur, en cette soirée d'entame de semaine, se surprend à bailler à plusieurs reprises.
Si Rached Ghannouchi a accepté de sortir de la tanière de Montplaisir pour répondre aux questions de la journaliste de Nessma, c'était bien tout simplement parce qu'il savait qu'il était en terrain conquis et qu'il ne s'agira jamais d'une partie de bras-de-fer avec un vrai sparring partner qui pouvait lui poser problèmes, qui pouvait tenir tête à «Rached l'enchanteur».
Un échange insipide
Tout était fait sur les mesures des deux acteurs: l'un comme l'autre a suivi à la lettre un scénario bien défini, où la question produisait, d'une manière quasi-automatique, une réponse prévisible. Sans surprise aucune, nous avons eu droit, sans surprise:
- au soutien d'Ennahdha à la feuille de route tracée par le Quartet et le Dialogue national;
- à son opposition à la «chasse aux sorcières» des partisans du parti islamiste dans l'administration;
- à son appui au gouvernement provisoire de Mehdi Jomaa;
- à son vœu pieux nadhaoui de voir les extrémistes retrouver le droit chemin;
- à ses fausses confessions: «nous ne sommes pas des anges», «nous commettons des erreurs», «nous apprenons»;
- ou encore : «nous avons beaucoup appris», «nous avons changé», «nous avons progressé»;
- aux énièmes appels à la temporisation, à la modération, au dialogue et au consensus, etc.
Ce résumé laconique de l'entretien (est-ce bien le mot approprié?) n'a de souci que celui d'épargner aux lecteurs la peine que les téléspectateurs ont eue, lundi soir, à suivre du début jusqu'à la fin un échange insipide, en faisant tous les efforts pour ne pas décrocher à mi-parcours.
Il n'y avait rien, absolument rien qui vaille que l'on reste cloué devant son poste de télévision, à griller une cigarette à la suite d'une autre, pour constater que les suspicions quant au dessein nahdhaoui restent entières et qu'Ennahdha continuera de louvoyer, de biaiser, de tricher et de se jouer du destin de la révolution tunisienne.
Autre triste constat: en l'absence d'une sérieuse concurrence des autres chaînes, Nessma TV a hérité, lundi soir, de la palme d'or de l'audimat. Rassurée par cette avance dont bénéficie depuis quelque temps la chaîne de Nabil Karoui, Meriem Belkadhi a même osé la fantaisiste question de savoir si le Cheikh suivait le feuilleton ''Harim Es-Soltane''. Et ce fut le scoop de la soirée: notre Cheikh national est totalement dévoué à la cause de la nation, au point où il en sacrifie le plaisir de regarder cette série turque culte qui tient en haleine une bonne partie de nos concitoyens...