Que l'on en vienne à pressentir le professeur Kaïs Saïed pour la présidence de la république, voilà qui traduit le manque de confiance des Tunisiens dans leur classe politique.
Par Moncef Dhambri
Le professeur en droit constitutionnel Kaïs Saïed n'a pas rejeté la possibilité de prendre part à la prochaine course présidentielle. L'idée, dit-il, ne lui est jamais venue à l'esprit. Il n'a jamais rêvé ni du Palais de Carthage, ni du Palais de La Kasbah. Mais, si un certain nombre de conditions sont réunies et par devoir envers le pays, il se jetterait à l'eau... La fonction présidentielle exige cette hauteur et cette humilité. Elle requiert aussi d'autres qualités...
Invité, hier, de la deuxième partie de ''Ness Nessma News'', l'expert constitutionnaliste Kaïs Saïed a juré ses grands dieux qu'il n'a jamais cherché le moindre mandat politique. Interrogé à propos de la mention de son nom dans tous les sondages d'opinion sur les potentielles candidatures à la prochaine élection présidentielle, M. Saïed a déclaré: «Je vous jure que je n'ai jamais cherché ni le pouvoir, ni l'argent. Toutes les positions que j'ai prises n'avaient pour unique motivation que le souci de servir le peuple tunisien. (...) Plusieurs offres, dans ce sens, m'ont été faites, et je les ai toutes refusées. Et à plusieurs reprises, je me suis expliqué là-dessus: je ne cherche pas le pouvoir». «Pour moi, poursuit-il, la quête du pouvoir est une addiction. Et je souhaite ne jamais succomber à cette tentation...».
Insistante, Meriem Belkadhi repart à la charge – pour décrocher le scoop – et repose la même question: «M. Kaïs Saïed, avez-vous l'intention d'être candidat au prochain scrutin présidentiel?» Cette fois-ci, l'invité a moins louvoyé. «Je présenterai ma candidature, répond-t-il à demi-mot, si la fonction l'exige. A mon avis, cette question de candidature est une affaire de projet. Je le ferais pour servir mon pays, et non pas pour accéder au Palais de Carthage ou au Palais de La Kasbah. Je préfère demeurer un soldat de terrain qui défend la Tunisie. Tout ce que j'ai fait, jusqu'ici, mes prises de position et tout ce que j'ai pu dire, n'ont eu pour intention que le service de mes concitoyens. Ni plus, ni moins». En deux mots comme en mille, il se présentera.
Que le nom de M. Saïed ait été récurrent dans les sondages d'opinion, depuis plus d'un an, et que notre consoeur Meriem Belkadhi n'ait pas pu résister à la tentation de lui poser la question sur ses réelles intentions soulèvent de nombreuses interrogations sur le sérieux et la crédibilité des sondages, la maturité politique des personnes sondées ou celle des électeurs, les impréparations et les faiblesses de la Révolution, les tâtonnements de la transition démocratique, les appréhensions d'un peuple qui ne croyait pas si bien (ou si mal) faire lorsqu'il a crié, le 14 janvier 2011, «Dégage!» à la face du dictateur...
Bref, ce sont toutes ces craintes et toutes ces incertitudes qui peuvent faire choisir au citoyen tunisien moyen «le premier venu», quand bien même ce dernier serait un professeur émérite, quand bien même cette personne se serait remarquablement distinguée sur tous les plateaux de télévision où elle a été invitée, depuis plus de deux années.
Tout simplement, une partie de l'opinion publique tunisienne s'est «attachée» à l'expert en droit constitutionnel parce qu'elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait, ni le sens ni la direction que les élus du 23 octobre 2011 pouvaient donner à la révolution du 14 janvier 2011.
Kaïs Saïed, qui force l'admiration par son honnêteté intellectuelle et son intégrité morale, a probablement été une lueur d'espoir. Il a pu être, aux yeux de nombreux de nos concitoyens, un sauveur, le sauveur d'un peuple perdu qui a hérité d'un cadeau auquel il ne s'attendait pas et qui se sent l'otage d'une classe politique dont l'honnête intellectuelle et l'intégrité morale ne sont pas les principales qualités... Cela suffit-il pour faire de l'expert en droit constitutionnel un bon président de la République tunisienne?
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