L'abandon de l'article 167 de la nouvelle loi électorale continue d'alimenter les suspicions d'une partie de la classe politique qui parle de deals secrets et de combines.
Par Marwan Chahla
La page de l'adoption de la nouvelle loi électorale n'est pas définitivement tournée. Le débat sur le dispositif que ce code met en place pour les prochaines échéances électorales se poursuit sur la place publique.
Que l'article 167 de cette loi, qui prévoyait l'exclusion des Rcdistes, soit tombé à l'eau parce qu'une seule voix lui a manqué demeure difficilement acceptable pour ceux qui auraient souhaité mieux «immuniser» la Révolution. Le Front populaire, notamment, digère mal ce tour de passe-passe de la Loi qui permettra à plusieurs éléments du parti dissous de reprendre du service... comme si de rien n'était.
L'impossible exclusion
Zied Lakhdhar, le secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié (Watad), a expliqué, hier sur Nessma TV, l'évolution de son parti sur cette question de l'exclusion des anciens Rcdistes: passer d'une opposition à cette mise en quarantaine des anciens dirigeants du régime déchu à des réserves sérieuses au sujet du rejet de l'article 167.
Pour M. Lakhdhar, il n'y a là aucune contradiction. La logique qui justifie ce «revirement» est toute limpide: le RCD a été dissous, le problème a été ainsi résolu et, en principe, la justice transitionnelle devait alors se saisir des dossiers individuels pour déterminer les responsabilités... «Cela n'a pas eu lieu, et la faute de ce travail inachevé incombe entièrement à la Troïka» (l'ex-coalition au pouvoir dominée par le parti islamiste Ennahdha), accuse Zied Lakhdhar. Il insiste: «C'est aux personnes responsables de ce retard pris par la justice transitionnelle que nous imputons ce qui arrive au pays aujourd'hui ».
Qu'arrive-t-il à la Tunisie et à sa révolution? Bon nombre de hauts gradés de l'ancien régime sont passés au travers des mailles du filet de la Cour d'appel militaire ou ils ont payé «le prix modique» d'un court séjour en prison, et les familles des martyrs et des blessés de la Révolution ne récoltent que la compassion populaire...
Bref, la page est tournée et le RCD, sous toutes les formes et les déclinaisons possibles et imaginables, par individus ou par formations politiques entières, est là, et bien là. Tous les Rcdistes, ou presque, dans les coulisses ou sur le devant de la scène, se ressaisissent, reprennent des forces, affutent leurs armes et se préparent sérieusement à se lancer dans les batailles électorales prochaines.
Zied Lakhdhar dénonce: «Il n'y a pas eu de justice transitionnelle, de détermination de responsabilité, de reconnaissance de faute, ni de présentation d'excuses. Dans pareilles circonstances, il n'y a donc pas possibilité de réconciliation nationale, de passage à l'étape suivante, qui aurait permis au peuple tunisien de faire face aux difficultés que nous traversons, d'envisager notre avenir commun et de l'aborder en toute sérénité». «Et ceci est grave, très grave, politiquement», a-t-il averti.
Pire, le secrétaire général du Watad ajoute : «Chaque jour, des hommes (d'anciens responsables Rcdistes, NDLR) viennent nous narguer et nous dire qu'ils n'ont commis aucune erreur, et qu'ils n'ont nullement l'intention de faire leur mea culpa. Ce serait, à mon sens, le moindre des gestes. Mais cela n'a pas eu lieu. Au contraire, ils viennent dire qu'il n'y a pas de honte à être Rcdiste». Et Zied Lakhdhar de s'insurger contre ces postures choquantes: «Ceci est de la provocation. Ceci est un affront à tout un peuple».
Qui veut passer l'éponge?
Il y aurait donc eu, selon le dirigeant du Front populaire, «combine, que l'on n'arrive pas à définir ou identifier avec précision, mais que l'on peut tout de même déceler avec certitude: il est évident que, pour servir leurs intérêts politiques, certaines parties se sont mises d'accord pour passer l'éponge».
Il aurait été souhaitable, conseille M. Lakhdhar, qu'«au moins un petit groupe de ces responsables (Rcdistes, NDLR)» soit privé de la participation aux prochains scrutins, en attendant que la justice transitionnelle se prononce sur leur cas.
Il nous reste, à présent, à imaginer le scénario légal qui pourrait donner satisfaction au Front populaire et aux autres partis «malheureux» qui n'ont pas pu convaincre une 109e voix constituante pour assurer le passage du fameux article 167 de la nouvelle loi électorale. La procédure parait, aujourd'hui, difficile, sinon impossible...
Illustration: Zied Lakhdar (à gauche) et Hamma Hammami à droite.
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