Ennahdha veut que la présidentielle se tienne le même jour que les législatives pour limiter au maximum les voix portées sur Caïd Essebsi et empêcher son parti de faire un raz-de-marée!
Par Imed Bahri
Ennahdha va engager une ultime bataille pour que les élections présidentielle et législatives aient lieu le même jour. Son porte-parole Zied Ladhari justifie cette position par le besoin du pays d'économiser les frais d'un scrutin (sic !) et en rappelant que, selon la constitution, le nouveau président n'ayant que peu de prérogatives ne mérite pas qu'on lui consacre autant de frais et une journée supplémentaire de vote! Plus cynique que lui tu meurs!
Un «tartour bis»
Le vrai pouvoir est, en effet, selon cette même constitution, entre les mains du chef du gouvernement. Du taillé sur mesure pour le parti islamiste qui espère mettre l'un des siens à ce poste.
Rappelons que c'est la majorité nahdhaouie à l'Assemblée qui a imposé cette vision de la république, prétextant avoir tiré les leçons d'un régime présidentialiste et pour empêcher le retour au despotisme, comme si la dictature d'un parti est impossible et comme si Rached Ghannouchi n'était pas le seul maître du pays pendant le règne de la Troïka, l'ex-coalition gouvernementale dominée par le parti islamiste.
Ajmi Lourimi, membre du Conseil de la Choura et responsable de la communication et de la culture au parti Ennahdha, en rajoute une couche: «Ceux qui veulent organiser la présidentielle avant les législatives cherchent en fait à améliorer leurs résultats aux législatives!».
On est tenté de lui répondre: «Ceux qui veulent tenir les deux scrutins le même jour cherchent plutôt à éviter une déroute électorale, car les candidats virtuels d'Ennahdha, Moncef Marzouki, Néjib Chebbi, Mustapha Ben Jaâfar ou Hamadi Jebali, ne peuvent, comme le montrent les différents sondages, que mener leurs sponsors à un échec cuisant».
Les vraies raisons qui poussent Ennahdha à faire passer en force sa proposition sont, cependant, à chercher ailleurs!
Depuis qu'il est rentré de son exil doré, Rached Ghannouchi n'avait cessé de déclarer que ce qui correspond le mieux à la Tunisie c'est bien le régime parlementaire, prenant exemple sur la Grande-Bretagne ou les monarchies constitutionnelles.
C'est l'une des rares questions à propos de laquelle Ennahdha n'a jamais changé de position, alors qu'il en a changé sans complexe sur bien d'autres. Ce n'est pas par fascination pour ce modèle démocratique. C'est uniquement parce qu'il correspond le mieux à sa stratégie à long terme qui vise l'instauration d'un califat. Car, pour Ennahdha, c'est un crédo et une profession de foi. Ses textes fondateurs, que le mouvement (et non le parti légal) n'a jamais reniés, confirment cette stratégie. Mais alors quel rapport avec les élections?
Le cauchemar éveillé de Ghannouchi
Ghannouchi sait bien qu'il ne pourra jamais prétendre à être porté par le suffrage universel au pouvoir suprême et il sait qu'il n'a aucune chance s'il se présente. Aucun autre Nahdhaoui, même Hamadi Jebali, auteur de la fameuse phrase «Le sixième calife est devenue une possibilité après le printemps arabe», ne pourra gagner des élections présidentielles!
Alors Ennahdha a opté pour un système qui lui permettra de rester un partenaire politique incontournable et peser toujours sur les évènements en attendant des jours meilleurs.
Ghannouchi et Caïd Essebsi jouent au "Je t'aime moi non plus".
Ce parti a tout fait pour réduire le pouvoir du président de la république, parce qu'il n'a pas actuellement de personnalité présidentiable. Et même son ami de toujours et allié occasionnel Moncef Marzouki a eu le droit à ce traitement! Heureusement, diront certains. Idem pour Ben Jaâfar qui ne sera qu'un pion de plus sur l'échiquier d'Ennahdha!
Ce crédo nahdhaoui s'est vu renforcé et confirmé par l'émergence d'un phénomène inattendu: Béji Caïd Essebsi, l'ancien Premier ministre et président de Nida Tounes.
Ce vieux briscard de la politique, de retour sur la scène, ratisse large et remporte, selon tous les sondages, l'adhésion d'une grande majorité des futurs votants. Il n'en fallait pas plus pour qu'Ennahdha le désigne comme l'homme à abattre à tout prix (au sens figuré évidemment) allant jusqu'à faire voter une loi pour exclure les anciens du régime dont la principale cible était, on l'a compris, ce vieux Destourien. Avant de faire un retournement spectaculaire, pour les raisons que tout le monde connaît maintenant.
«Mais Caïd Essebsi président sera sans pouvoir réel», crieront les sceptiques? Erreur car il aura le pouvoir du magistère que lui offrira son poste s'il est élu et Caïd Essebi n'est pas Marzouki! Sans même aucun pouvoir, il aura tous les pouvoirs. Il sera en plus le patron incontestable de la diplomatie et sera le commandant suprême des forces armées. De quoi donner des frissons dans le dos à Ghannouchi, autre vieux routier de la politique.
De là à conclure qu'un Caïd Essebsi peut cacher un Sissi tunisien, il n'y a qu'un pas que l'imagination débordante de Ghannouchi peut franchir. Après tout, qui aurait imaginé qu'un général, illustre inconnu à l'époque, nommé par Mohamed Morsi lui même et faisant ses cinq prières quotidiennes, aurait pu se retourner contre ses bienfaiteurs.
En tout cas, Ghannouchi ne prendra aucun risque et fera tout pour que le futur président, porté au pouvoir suprême par le suffrage universel, ne pourra remporter trop de voix et sera, au mieux, un «tartour» bis. Ce ne serait évidemment pas le cas si Caïd Essebsi venait à l'emporte.
C'est pour cette raison que la présidentielle aura lieu le même jour que les législatives et pour faire d'une pierre deux coups: limiter au maximum les voix portées sur Caïd Essebsi et empêcher son parti de faire un raz-de-marée! Si jamais la présidentielle précédait, non seulement il l'emporterait dès le premier tour, mais son parti profiterait de sa victoire et Ennahdha risquerait d'être laminé.
C'est donc une bataille politique cruciale qui s'annonce et il est fort peu probable que ce parti cède sur ce point quelles que soient les pressions et quitte à renvoyer les élections aux calendes grecques. En espérant que, peut être, le facteur biologique entrerait en jeu!
«Laissons le temps au temps», répliquait François Mitterrand à un journaliste qui le questionnait sur son cancer!
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