Adoubé par Ennahdha et Nida Tounes, et par certaines capitales et multinationales occidentales, le «provisoire» Mehdi Jomaa serait-il appelé à servir «une vacation» de 5 ans?
Par Moncef Dhambri
Le temps de la carrière politique du Premier ministre provisoire Mehdi Jomaa progresse à la vitesse grand V. Inconnu du public il y a à peine plus d'un an, lorsqu'il a rejoint le ministère de l'Industrie dans le gouvernement Troïka 2 d'Ali Larayedh, il quitta définitivement l'anonymat le jour où la «magie» du Dialogue national (cherchez la main innocente !) en a fait «l'homme du consensus», «le sauveur du processus transitionnel» et le chef du gouvernement provisoire de technocrates.
Depuis une centaine de jours, le destin de Mehdi Jomaa court, court très vite, couvre tant de terrain, ne s'arrête plus, ne semble pas pouvoir s'arrêter... Et si cette ascension devait se prolonger au-delà des prochaines élections?
L'homme que personne n'attendait
Le soulagement qu'a pu susciter la désignation, en janvier dernier, de Mehdi Jomaâ à la tête du Premier ministère a très vite dépassé le simple préjugé favorable du citoyen tunisien moyen qui désespère de son 14-Janvier. Le sentiment de tranquillité que ce brillant ingénieur de 52 ans a inspiré a, en un temps très bref, quitté les discussions du café de commerce pour dominer le débat public, s'installer et s'étendre sur la scène nationale totale et traverser les frontières de notre pays.
La diplomatie économique du chef de gouvernement globe-trotter et polyglotte a fait le reste du travail, des capitales des pays du Golfe au Maghreb, des Etats-Unis en Europe... Mehdi Jomaa est devenu incontournable, omniprésent et, peut-être même, omnipotent... à tel point que certains, très nombreux et de plus en plus nombreux, ne conçoivent plus que ce qu'il considère comme une réussite puisse être suspendue au moment où cet homme viendrait à peine de prendre son envol.
Les sondages d'opinion, ignorant l'engagement pris par M. Jomaa et toute son équipe de quitter la table politique au lendemain des prochaines élections, mentionnent régulièrement son nom parmi les personnalités présidentiables ou premier-ministrables, les chancelleries européennes et d'ailleurs prennent rendez-vous sur rendez-vous avec lui, les touristes revisitent la destination Tunisie et prennent de nouvelles options, les investisseurs reprendraient confiance en notre pays et accourraient pour saisir des opportunités tunisiennes, et les ténors de notre scène politique parlent moins fort, en sa présence et en son absence, et ne sous-estiment plus «le phénomène Mehdi Jomaâ».
L'homme prend de l'assurance au contact des grands de ce monde. Ne dit-on pas que l'appétit vient en mangeant?
Ennahdha et Nida Tounes, pour ne citer que ce deux partis qui importent le plus, car les autres petites et moyennes formations devront tôt ou tard s'y résoudre, envisagent très sérieusement le scénario du Mehdi Jomaâ «J'y-suis-j'y-reste».
On est loin, très loin, aujourd'hui, de la pointe d'humour du nouveau Premier ministre, lors de la présentation de son équipe, le 29 janvier dernier, à l'Assemblée constituante, sur «la date de péremption de son gouvernement, fin 2014, comme vous le savez», ainsi que lui dictait la feuille de route du Dialogue national.
Les choses ont changé, les données ne seraient plus les mêmes et l'envergure de Mehdi Jomaâ et sa stature ne sont plus celles d'un chef de gouvernement intérimaire qui partirait sur la pointe des pieds, une fois les résultats des prochaines élections proclamés.
Si le premier concerné lui-même, par modestie et par respect des règles définies par le Quartet, reste discret, s'il n'évoque pas la prolongation de sa carrière politique, ou en de très petits mots, et s'il préfère garder secrète cette ambition, des dirigeants nahdhaouis et nidaïstes semblent de plus en plus tentés de mettre cette éventualité sur la table.
Connivence entre Ennahdha et Nida Tounes?
Rached Ghannouchi a déclaré, dimanche, lors d'un meeting à Siliana, qu'il n'écartait pas personnellement, dans le cas de la réalisation de bons résultats par le gouvernement de Mehdi Jomaa, la possibilité que cet homme soit maintenu à la tête du Premier ministère. «La situation actuelle requiert un gouvernement de consensus et, pour l'instant, la Tunisie ne semble pas bien préparée à être gouvernée par des partis qui dirigent les affaires du pays et d'autres qui font de l'opposition», a expliqué le président d'Ennahdha.
Cet adoubement de Mehdi Jomaa par le chef des islamistes a été réitéré par Mohsen Marzouk, membre du bureau exécutif de Nida Tounes, qui ne trouve aucun inconvénient à ce que le bail de M. Jomaa au Palais de la Kasbah soit prolongé car le pays, indépendamment de l'issue des prochaines élections, aura besoin de laisser de côté la confrontation pour s'atteler de toute urgence à la tâche de la construction.
M. Marzouk se montre cependant prudent en avertissant qu'«il ne s'agit pas d'un choix définitif. Il serait souhaitable d'envisager sérieusement que, pour les cinq années à venir, la confiance soit établie en Tunisie, que le pays se débarrasse de la confrontation et qu'il se mette à se construire». Mehdi Jomaâ, devrions-nous conclure, serait la solution.
Mehdi Jomaa, le "Français" reçu par François Hollande à l'Elysée.
Mohsen Marzouk peut s'empresser de préciser que cette concordance des positions d'Ennahdha et de Nida Tounes sur une reconduction éventuelle de Mehdi Jomaa à la tête du prochain gouvernement n'est pas le résultat de tractations secrètes entre les deux éléphants de la scène politique tunisienne. Il peut rejeter l'accusation selon laquelle les partis de Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi se sont entendus sur la nécessité d'accorder à M. Jomaâ un mandat quinquennal entier pour qu'il puisse instaurer la paix politique dans le pays et la stabilité sociale, mettre en œuvre les réformes structurelles qui s'imposent et redonner une meilleure vie à l'activité économique.
M. Marzouk peut dire tout cela, autres choses et continuer de nier l'existence de la moindre connivence entre les Nidaïstes et les Nahdhaouis.
Il ne peut cependant pas dissiper les soupçons de certaines petites formations politiques selon lesquelles Ennahdha et Nida Tounes ont bel et bien pactisé... Mehdi Jomaa serait appelé à servir «une vacation» de 5 années supplémentaires et, une fois la mise en ordre de la maison révolutionnaire assurée, le jeu de la saine démocratie pourra alors commencer... Et Nida Tounes, Ennahdha et les autres pourront alors s'essayer à la compétition et au pouvoir...
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