C'est à Caïd Essebsi que les deux parties en conflit au sein de Nida Tounes s'adressent. Rien ne nous est épargné: pétitions, contre-pétitions, déclarations virulentes et «mounachadat». Ambiance...
Par Imed Bahri
-Nida Tounes est au bord de l'explosion? Ce n'est pas si sûr! Pourtant, la lettre ouverte adressée par des intellectuels réputés «de gauche» ou «laïcs», dont certains sont membres dirigeants de ses instances, prouve que ce parti traverse une zone de turbulence.
C'est au «grand timonier» que les deux parties en conflit s'adressent pour sauver le «bateau ivre» à coup de pétitions, de contre-pétitions, d'articles virulents et de déclarations intempestives.
Un Caïd Essebsi en cache un autre
Dans cette missive envoyée par voie de presse, les signataires ne demandent pas moins à Béji Caid Essebsi que de se déjuger en annulant la décision, prise par lui, de nommer son fils à la tête de l'administration du parti, un poste en apparence exécutif mais en réalité hautement politique car il lui donne la haute main sur les structures et les moyens financiers. Or l'argent est le nerf de la guerre et les structures en sont les troupes.
C'est le contenu de la lettre qui est surprenant. Ce n'est ni plus ni moins qu'une critique acerbe mais voilée de la gestion du père sous couvert de la critique de la gestion du fils, qui était jusque-là président de la commission des «structures» dissoute par le président du parti en raison des dissensions qui la secouaient, avant que le fils ne soit nommé à la tête de l'administration par une décision de l'instance dirigeante, décision qui fût mise en cause par le secrétaire général du parti par médias interposés depuis le Caire.
C'est dire combien le désaccord est profond. Mais c'est surtout la mise à l'écart d'anciens Rcdistes notoires, dont visiblement l'ancien secrétaire général du RCD dissous Mohamed Ghariani, et surtout certains hommes d'affaires jugés sulfureux et infréquentables qui ont rejoint Nida Tounes récemment, qui est franchement et fraîchement exigée par les signataires du texte.
Lazhar Akremi et Hafedh Caïd Essebsi: Nida Tounes tente de recoller les morcaux.
La goutte qui a fait déborder le vase
Le meeting de Sfax, qui a rassemblé plus de 10.000 sympathisants a été vraisemblablement la goutte qui a fait déborder le vase car les alliances au sein de Nida Tounes se sont précisées entre une aile dirigée par Caïd Essebsi fils, rassemblant essentiellement les Destouriens et quelques éléments ralliés parmi les anciens militants de la gauche, et une autre dirigée par l'ancien directeur exécutif de Nida Ridha Belhaj et l'actuel secrétaire général Taieb Baccouche.
Cette guerre larvée avait commencé dès la fondation de ce parti et la bataille «décisive» a toujours été retardée, surtout par l'aile destourienne, qui avait donné la priorité au travail «interne» et a réussi à mettre la main sur toutes les structures régionales puisant dans l'immense réserve Rcdiste dans les régions, objet de toutes les convoitises y compris celle d'Ennahdha et des autres partis, à l'exception de l'extrême gauche.
C'est, cependant, le rejet spectaculaire par l'ANC de la loi dite de l'exclusion qui a changé radicalement la donne au sein de Nida Tounes. Les Rcdistes veulent-ils faire une OPA sur ce parti et exclure l'aile «gauche» ou du moins ceux qui contestent leur tendance à l'hégémonie? Rien n'est moins sûr bien que certains «sponsors» nostalgiques de l'époque du parti hégémonique ne cessent de le crier sur touts les toits. Béji Caïd Essebsi ne les laissera pas faire car il sait que ce serait la fin de Nida Tounes. Car sans son aile gauche, Nida ne sera plus Nida.
Mohamed Ghariani au 1er plan lors d'un meeting de Nida Tounes à Tataouine: "Au secours, les Rcdistes arrivent!"
La menace d'une alliance avec Ennahdha
Mais l'intérêt de cette lettre est dans sa tentative d'élever le débat à celui du choix de société et donc des alliances futures à envisager. Elle se prononce avant l'heure, quoique en termes voilés, contre toute possible alliance avec Ennahdha avant et après les élections, car, souffle-t-elle, c'est la raison même de la création de ce parti.
Bien que rien n'a filtré, certains soupçonnent BCE de vouloir faire alliance avec le parti islamiste après les élections pour «gouverner ensemble le pays car le pays ne pourra jamais être gouverné par un seul parti», se plait-il toujours à répéter.
On ne sait pas si cette lettre fait écho à un débat interne sur la question ou si c'est pour politiser les divergences et pour que ceux qui l'ont signée apparaissent comme des porteurs d'un projet et d'un programme politique.
Replacer le conflit qui s'est déclenché à propos de nominations par un débat d'idée peut paraître comme louable s'il s'agit d'un vrai débat interne, sinon cela risque d'apparaître comme une diversion. En tout cas les répliques de la partie adverse sont de tout autre genre. Des «mounachadat» (supplications) qui rappellent d'autres tristes souvenirs et des délégations auprès des dirigeants dont BCE lui même pour le «prier» de maintenir son fils sans parler d'une campagne sur les réseaux sociaux où tous les noms d'oiseaux sont utilisés pour qualifier les adversaires et cela va jusqu'aux menaces de divulguer des «dossiers compromettants» sur les colonnes des journaux.
C'est dire combien l'enjeu est crucial pour certains. Mais le plus curieux c'est que cette lettre qui s'adresse au père pour sévir contre son fils au nom d'un purisme et d'un jusqu'au-boutisme politique déclare la guerre à tous. Ce n'est pas forcément une preuve de maturité politique. Gauchisme quand tu nous tiens!
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