La Tunisie, pays de naissance du tsunami politico-social appelé «printemps arabe», risque, par un curieux retournement de l'Histoire, de se retrouver dans l'oeil du cyclone terroriste.
Par Imed Bahri
Beaucoup de signes le laissent présager, malgré une apparente accalmie due à la sagesse ancestrale du peuple tunisien qui a appris à domestiquer les démons de la violence et à éviter le pire au dernier moment.
Avec l'épilogue du «gouvernement de technocrates» et la sortie forcée du parti islamiste Ennahdha du gouvernement, la situation politique intérieure s'est relativement stabilisée. Mais le retour en force des actions terroristes, qui ont culminé, mardi 27 mai, avec l'attaque de la résidence du ministre de l'Intérieur, dans son fief tribal et familial à Kasserine (centre-ouest), et la bataille rangée opposant, depuis dimanche 1er juin, l'armée et les forces de l'ordre à un groupe armé dans la vaste région montagneuse entre Fernana et Aïn Drahem, ainsi que l'annonce de la liquidation du chef d'Ansar Charia, l'Algérien Khaled Chaibi, chef des jihadistes du Jebel Chaambi, par les forces du général libyen Khalifa Haftar, prouvent que la Tunisie est entrée de plain-pied dans une nouvelle ère de la guerre contre le terrorisme international.
Qui veut en finir avec la paisible Tunisie?
Le terrorisme n'est plus, désormais, une affaire tuniso-tunisienne, entre l'Etat et Ansar Charia, mais entre l'Etat et le peuple tunisiens d'un côté et, de l'autre, le terrorisme international, qui s'est visiblement tracé un objectif: en finir avec la paisible Tunisie!
Le foyer principal du terrorisme international n'est plus l'Afghanistan, comme le prouve la récente déclaration du président américain Barack Obama, mais toute la zone saharienne et l'Afrique du Nord et, principalement, le sud de la Libye.
«Nous soutenons tous la police et l'armée tunisiennes dans leur lutte contre le terrorisme», lit-on dans cette pancarte brandie par un manifestant à Tunis.
Dans son discours à l'Académie militaire de West Point, il y a quelques jours, M. Obama a déclaré: «La réduction de notre présence en Afghanistan nous permet de relever plus efficacement les menaces émergentes en Afrique du Nord et au Moyen Orient (...) Aujourd'hui, dans le cadre de cet effort, j'invite le Congrès à soutenir ce nouveau partenariat de la lutte contre le terrorisme et d'allouer jusqu'à 5 milliards de dollars à cet effort, ce qui permettra de délivrer une formation adéquate et de construire la capacité de défense des pays partenaires sur la ligne de front (...) Nous travaillerons avec nos alliés européens pour former les forces de sécurité ainsi que les troupes des frontières de la Libye.»
Déjà, l'Algérie a dépêché plus de 5000 de ses soldats d'élite aux frontières tuniso-algéro-libyenne, préparant une possible intervention dans la profondeur du désert libyen pour traquer les terroristes. Elle travaille aussi avec l'Egypte pour constituer un axe militaire Alger-Le Caire. D'où le risque qui se précise que les organisations jihadistes tentent de se «délocaliser» en Tunisie, en accentuant la pression sur l'armée et les forces de sécurité tunisiennes, qu'elles jugent faibles, sachant qu'elles ont (depuis un certain temps, si l'on suit une déclaration de Mehdi Jomaa) envoyé armes, munitions et terroristes pour déclencher une guérilla, dont le quartier général est le mont Chaambi.
Le pire n'est-il pas encore à venir?
Les faits prouvent malheureusement que le pire est à venir. La recrudescence, ces dernières semaines, d'actes terroristes, malgré les victoires remportées par nos soldats et policiers, témoigne de l'étendue du désastre dont sont principalement responsables les deux gouvernements de la Troïka, dont le laxisme à l'égard des groupes terroristes restera dans les annales. Jour après jour, on découvre avec effroi l'ampleur et la dangerosité de la toile islamo-terroriste et ses ramifications. Et ce n'est, semble-t-il, que la partie immergée de l'iceberg.
Il est vrai que depuis l'avènement du nouveau gouvernement, et cela est très clair, les forces de sécurité et l'armée n'ont plus les mains liées et agissent avec efficacité. Malgré quelques ratés, cela rassure les citoyens. Il n'en est pas moins vrai que la prise en étau des islamo-terroristes en Libye, qui annonce la fin de leur mainmise sur ce qui reste de l'Etat de ce pays, ainsi que la sécurisation de nos frontières par notre armée nationale, vont, à coup sûr, étrangler les sources d'approvisionnement de la nébuleuse terroriste (en hommes, argent, armes et munitions).
L'implication forcée de notre pays dans cette guerre va le mettre, on s'en doute, au cœur des affrontements entre puissances mondiales et régionales et l'obliger à rallier un axe parmi ceux déjà formés ou qui sont en cours de formation. Sa propre sécurité en dépend.
S'ajoute à cela une incapacité structurelle chez nos actuels gouvernants à assimiler les mutations profondes et rapides que vit la région et à faire les choix qui s'imposent en fonction de l'intérêt supérieur de la nation.
L'annulation, à la dernière minute, de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Union du Maghreb arabe (UMA), qui aurait été suivie d'une réunion des envoyés spéciaux des USA, de la Grande Bretagne, de la France, de l'Italie, de la Turquie, de l'Union européenne, de la Ligue arabe et de l'Union africaine, avec les pays de l'UMA, prouve l'incapacité de notre diplomatie à affronter la nouvelle situation.
La raison invoquée pour justifier cette annulation est l'existence de deux premiers ministres libyens (lequel inviter?) Justement, il fallait trancher et inviter celui qui est dans notre camp, c'est-à-dire celui qui a été limogé par les Frères musulmans, même si cela déplaît à Moncef Marzouki, le président provisoire de la république, et à ses protecteurs, les islamistes d'Ennahdha.
Ne pas laisser des allumettes à la portée des amateurs
La gestion médiatique de la visite du souverain marocain et les incidents qui l'auraient émaillée ne laissent plus de doute quant aux errements de notre politique étrangère. Comment d'ailleurs envisager les choses autrement avec une diplomatie à deux voire plusieurs têtes?
Bien sûr, nos diplomates sont les derniers à êtres incriminés, car les pressions politiques exercées en catimini ou ouvertement par l'hôte du Palais de Carthage ne leur laissent point le choix. S'ajoute à cela l'irresponsabilité de certains acteurs politiques qui, au nom du droit-de l'hommisme, vont, comme ils l'ont toujours fait, jusqu'à tenter de torpiller les intérêts du pays.
Notre diplomatie doit être dirigée par une seule tête, le chef du gouvernement. Il ne faut pas laisser les amateurs jouer avec les allumettes, ils risquent de provoquer un incendie, si ce n'est déjà fait, et tout le monde va s'y brûler.
Plus que jamais nous avons besoin d'un gouvernement fort sinon ce n'est pas un cyclone qui risque de nous emporter mais même une bourrasque.
Illustration: Démantèlment d'une cellule terroriste le 4 août 2013 à El-Ouardia, au sud de Tunis.
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