Les partis n'arrivent pas à se mettre d'accord sur la formule adéquate pour la tenue des prochaines législatives et présidentielle, alors que le peuple a la tête ailleurs.
Par Moncef Dhambri
Le Dialogue national reprendra demain pour tenter de trancher, au plus vite, sur cette épineuse question de la concomitance ou séparation des scrutins présidentiel et législatif. La situation est plus qu'urgente et la marge de manœuvre de l'Instance des élections se réduit de jour en jour... Les avis des experts ne facilitent pas la tâche des «décideurs», qu'ils soient participants au Dialogue ou membres de l'Assemblée constituante. Les électeurs, eux, n'y comprennent plus rien... Ils devront attendre que les partis mettent leurs intérêts de côté et placent ceux du pays à la tête de leurs priorités.
Des scénarios qui font débat
Le débat sur la concomitance ou la séparation des élections législatives et présidentielle s'est focalisé depuis mercredi dernier, date à laquelle où le Dialogue national a repris ses travaux après une suspension d'un mois, sur une proposition «personnelle» de Béji Caïd Essebsi. Le président de Nida Tounes suggère qu'il y ait mariage des deux formules: un premier tour séparé de la présidentielle, suivi d'un deuxième tour de la présidentielle et des législatives concomitants.
Le professeur de droit constitutionnel Amine Mahfoudh s'impatiente et dénonce la «stérilité» des débats sur cette question. Il a déclaré, hier, au micro de Mosaïque FM: «Les discussions ont pris trop de temps et j'avais soumis, depuis le 7 mai dernier, une proposition qui simplifierait les choses pour l'électeur. J'avais soumis l'idée que la présidentielle se tienne en premier: cela aurait le mérite de faciliter la tâche pour les électeurs, car la présidentielle est un scrutin moins complexe que les législatives. J'avais donc proposé qu'il y ait, début octobre prochain, le premier tour de l'élection présidentielle et que, trois semaines plus tard, le deuxième tour de ce scrutin et le premier tour des législatives peuvent se tenir le même jour... Ainsi, les deux échéances pourront être complétées avant la date-butoir que la nouvelle constitution a fixée, à savoir avant la fin de l'année».
Pour un autre constitutionnaliste, Chawki Gaddes, «on ne peut pas décider d'une date pour la présidentielle sans avoir au préalable organisé des élections législatives. Comment est-ce possible de fixer un rendez-vous précis pour ce scrutin? Il faut également tenir compte du fait que les résultats d'un premier tour de la présidentielle peuvent être contestés et que l'examen et la vérification des plaintes et des accusations peuvent prendre du temps...».
L'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), par la voix d'un de ses membres, Nabil Baffoun, estime que la proposition de M. Caïd Essebsi serait difficile à mettre en application «car il y a un risque sérieux que le chevauchement des deux campagnes de la présidentielle et des législatives crée une certaine confusion auprès de l'électeur. Il nous reste toujours possible de mettre à exécution n'importe quel scénario que l'on nous soumettra. Cependant, la proposition faite par M. Béji Caïd Essebsi rend impossible la séparation des deux campagnes: où peut donc s'arrêter la première campagne pour permettre à la seconde de commencer?».
Le temps passe et Chafik Sarsar et l'ISIE attendent que les dirigeants politiques règlent leurs montres.
Le spectre de l'abstentionnisme
Rafik Halouani, coordinateur du réseau Mourakiboune (Observateurs), a estimé que la suggestion de BCE est «raisonnable si les partis politiques l'acceptent» mais il s'étonne que l'ISIE se soit déjà engagée sur l'ouverture, le 23 juin, de l'inscription sur les listes électorales, alors que les dates des deux scrutins n'ont pas été fixées et que l'on n'a toujours pas décidé s'il y a concomitance ou séparation des deux élections.
Bref, autant dire que le pays en est toujours au même point et que, sur ce chapitre le plus important de la mission du président du gouvernement provisoire Mehdi Jomaâ, les pas franchis ont été jusqu'ici très petits et très peu convaincants. L'ISIE est formée, le cadre légal est là à attendre l'application, les candidats sont sur le départ, aiguisent leurs couteaux et certains sont même déjà partis... Le peuple, lui, ne sait pas à quel saint se vouer.
L'électeur ne comprend plus rien, s'interroge et ne trouve pas de réponse convaincante. Il ne saura pas, peut-être même jusqu'à la dernière minute, à quelle sauce son vote sera mangé aux prochaines élections.
Il y a également la menace de l'indifférence électorale – ce que les spécialistes appellent l'abstentionnisme ou le boycotte – qui plane sur les prochains scrutins et qui devrait être prise au sérieux.
Il serait triste que le beau rêve du 14 janvier puisse céder le terrain au désenchantement et à la démission, ou que les Tunisiens se mettent à envisager ou à souhaiter le retour de la dictature.
La tournure des évènements en Syrie, Egypte et Libye donne, hélas, raison à cette crainte... Le génie tunisien sauvera-t-il la mise révolutionnaire? Rattrapera-t-il l'erreur du verdict des urnes du 23 octobre 2011 et tout le temps perdu depuis cette date?
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