Dans l’esprit de beaucoup de Tunisiens, la destitution du général Ben Ali résonne comme une seconde libération… de la France, d’une certaine France paternaliste, condescendante et soucieuse de ses seuls intérêts.


Des sources françaises, non contentes d’avoir raté le train de la révolution tunisienne en soutenant jusqu’au bout le régime despotique de Ben Ali, commencent à émettre des réserves sur ce qu’elles qualifient de «putsch militaire» en Tunisie, par allusion au déploiement de l’armée nationale et à la proclamation de l’état d’urgence.

Tergiversations embarrassées
Le ridicule, on le sait, n’a jamais tué, en France pas plus qu’ailleurs. A ces antimilitaristes de la dernière heure, qui s’apitoient aujourd’hui, sous le couvert de l’anonymat, sur le sort de la Tunisie, ne nous feront pas oublier qu’ils n’ont jamais ménagé leur soutien à un régime atroce qui, 23 ans durant, a réprimé les Tunisiens et a sacrifié leurs aspirations à la liberté et à la démocratie.
Cette France officielle, qui a longtemps tergiversé, allant même jusqu’à proposer, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, deux jours seulement avant la chute de Ben Ali, son savoir-faire sécuritaire en matière de répression des manifestations… Cette France là essaie aujourd’hui de se dédouaner, aux yeux des Tunisiens. En refusant d’offrir l’asile à Ben Ali, après l’avoir sérieusement envisagé un moment. En annonçant que les proches de Ben Ali présents sur son sol ne sont pas les bienvenus. Et en réitérant sa vigilance face aux mouvements de fonds financiers tunisiens, par allusion à d’éventuelles fuites d’argent appartenant au clan de Ben Ali.
Tous ces gestes sont les bienvenus, mais ils viennent un peu tard. Car les Tunisiens connaissent les imbrications d’intérêts entre certains groupes français et les membres de la famille du président déchu, avec la complicité active de l’Elysée et de Matignon. Ils connaissent le rôle ambigu joué par le cercle influent du lobby pro-Ben Ali et celui des Tuns (les juifs originaires de Tunisie), qui ont toujours servi de relais à la propagande du dictateur en France.

Ni oubli, ni rancœur
Les Tunisiens n’oublieront pas de sitôt l’indulgence opportuniste et les appuis inconditionnels dont l’ancien régime a toujours bénéficié auprès de Paris.
Pas d’oubli donc, mais pas de rancœur non plus. Les erreurs peuvent toujours être corrigées. Et la France a aujourd’hui la possibilité, si elle en a la volonté, de jouer un rôle positif dans la normalisation de la situation en Tunisie.
Ses diplomates et pseudo-experts es-affaires tunisiennes, dont on connaît les accointances coupables avec l’ancien régime, devraient d’abord cesser d’émettre des doutes sur la capacité des Tunisiens à reconstruire le champs politique national et avancer sur la voie d’une transition démocratique pacifique.
Ils devraient aussi arrêter de mettre en doute, même en aparté et dans des déclarations officieuses, la loyauté de l’armée tunisienne et sa volonté de remettre le pouvoir au peuple, pouvoir que le peuple a déjà arraché aux prix de lourds sacrifices, en investissant les rues et en organisant la lutte contre les bandes organisées de l’ancien régime.
Ce n’est qu’à ce pris que la confiance sera renouvelée et que de nouvelles relations bilatérales pourront être reconstruites sur la base du respect de la volonté souveraine des Tunisiens et de leurs aspirations à une vie politique évoluée fondée sur la liberté, la dignité et la primauté de la loi.

Ridha Kéfi