L'Instance des élections semblent abandonner le terrain des élections aux partis, qui, obnubilés par leurs intérêts propres et cherchant à se neutraliser, ajoutent du retard au retard.
Par Marwan Chahla
Le feuilleton électoral n'a pas fini pas de dérouler sous nos yeux ses épisodes les uns plus absurdes et plus contrariants que les autres. De la même manière qu'il a fallu deux longues années pour qu'une indéboulonnable Constituante accouche d'une constitution acceptable par tous, il semblerait que l'électeur tunisien est condamné à attendre encore et encore pour savoir «à quelle sauce sera mangé son vote».
Les partis font leurs calculs politiques et les refont. Le Quartet fixe les rendez-vous du Dialogue national, ajourne, reporte et suspend ses travaux, et il se rencontre à nouveau. L'Instance supérieur indépendante pour les élections (ISIE) se prépare, se dit prête pour tous les scénarios, s'impatiente, fait du sur-place et attend qu'on lui donne le feu vert.
Un délai difficile à respecter
Est-il vraiment envisageable que les élections se tiennent, ainsi que le dicte la nouvelle constitution tunisienne, avant la fin de l'année?
La semaine dernière, après une interruption d'un mois, le Dialogue national a repris. Il s'agissait pour les parties prenantes de se déterminer sur cette question de la concomitance ou la séparation des élections présidentielle et législatives. Il n'en fut rien: la bonne volonté absente et les calculs politiciens des partis ont imposé un nouveau report pour consultations internes.
Sur ces entrefaites, Béji Caïd Essebsi, leader de Nida Tounes, soumit sa proposition «personnelle» qui tente de concilier concomitance et séparation des deux scrutins: un premier tour séparé de la présidentielle, puis concomitamment un second tour de la présidentielle et un premier tour des législatives... Cette formule de l'ancien Premier ministre n'aurait «nulle autre intention que de débloquer la situation et faire progresser les débats», nous disait-on du côté de Nida Tounes.
Mercredi dernier, donc, les partis présents au Dialogue national ont quitté la table des discussions avec cette proposition de M. Caïd Essebsi sous le bras, pour un énième round de consultations internes. Rendez-vous est pris pour une nouvelle réunion du Dialogue, samedi, qui ne donnera rien... Qu'à cela ne tienne, un autre rendez-vous est fixé pour aujourd'hui. Et ainsi de suite, est-on tenté de dire.
Tout cela se passe à moins de deux semaines du démarrage des inscriptions sur les listes électorales, le 23 juin prochain. Tout cela se passe comme si le pays n'a pas trop attendu. Tout cela se passe comme si l'Etat et ses institutions n'ont pas assez souffert de confusions, d'affaiblissements et de désobéissances, comme si l'économie n'a pas assez végété, comme si la société n'a pas perdu nombre de ses repères, comme si le discours politique de nos «élites» n'a pas suscité assez de désillusion, défaitisme et colère parmi les citoyens.
Sans oublier que tous ces échecs de la Révolution ont été le terrain fertile des wahabbisme, salafisme, jihadisme et autres extrémismes destructeurs et populismes opportunistes.
L'ISIE doit prendre ses responsabilités
L'Instance des élections, elle, ne semble pas se rendre compte de toutes ces pertes et des risques et des dangers que ces insuccès de la Révolution peuvent encore engendrer. Elle ne semble pas être consciente de toute l'urgence qu'il y a à ce qu'elle assume totalement sa responsabilité historique. Elle ne semble pas, non plus, réaliser que sa mission est plus grande, bien plus grande, que l'estimation des coûts des élections, le recrutement de son personnel ou la location et l'aménagement de son QG et de ses bureaux régionaux.
Les sondages, si l'on peut leur accorder confiance, viennent chaque mois nous rappeler que la patience des électeurs potentiels n'a pas cessé de s'effriter et que, le jour des scrutins, cette exaspération risque fort probablement de se traduire en un taux d'abstention très élevé. Et, ce jour-là, notre Révolution et notre démocratie y seraient les perdraient énormément.
Pour le commun des mortels, l'ISIE est une instance de régulation composée d'experts qui devraient éclairer l'opinion publique et défendre les intérêts de la communauté nationale. A être aussi timide qu'elle ne l'a été jusqu'ici et à recourir un peu trop facilement à l'usage de l'argument de la neutralité – avec son «respect d'une distance égale entre toutes les parties politiques» –, elle risquerait de perdre sa crédibilité.
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