L’écrivain et professeur de science politique tunisien résidant en Suisse, l’auteur d’‘‘Elyssa la reine vagabonde’’ propose ici une réflexion sur les moyens de rétablir la confiance entre un Peuple et son Etat. Par Fawzi Mellah

Pour respectables qu’elles soient, les constitutions ne sont jamais qu’un effort intellectuel consenti par une communauté afin d’organiser sa vie publique, fixer les règles du jeu collectif et donner une assise juridique à l’Etat.

Légalité versus légitimité
Ce genre de texte prévoit donc le prévisible, c’est-à-dire ce qui est raisonnablement attendu du Citoyen et de ses Gouvernants. En somme, c’est un contrat plus ou moins élaboré fixant le droit des uns et le devoir des autres. Mais lorsque, pour une raison ou une autre, la relation entre le Citoyen et ses Gouvernants se rompt (et c’est toujours le cas des Révolutions), la Constitution en vigueur ne peut plus servir de contrat. Sans être explicitement caduque, elle devient pour le moins problématique, car elle ne reflète plus les réalités.
Or, au vu des événements – à la fois dramatiques et riches – que nous venons de vivre en Tunisie, l’appel à l’article 57 de la Constitution pour «résoudre la crise» est au mieux un légalisme déplacé, au pire un subterfuge qui pourrait s’avérer lourd de conséquences. Ainsi, on voudrait donc nous faire croire que l’on peut faire du neuf avec du vieux! Remplacer subrepticement une révolution populaire par une simple révolution de palais! Quel leurre! Indigne de nos centaines de morts et de la simple mémoire de Mohamed Bouazizi! D’autres révolutions, sous d’autres cieux, ont connu ce genre d’égarement, elles ont toutes débouché sur le contraire des principes qui les avaient animées...
Aucune constitution n’est supérieure à la volonté du peuple qui y a consenti. Or, le peuple tunisien a exprimé la sienne: il ne veut plus du «régime» qui l’a étouffé pendant des décennies. Il veut un changement de régime et non pas un changement dans le régime. Régime voulant dire, en l’occurrence, non seulement un président, mais toutes les institutions qui ont contribué peu ou prou à son maintien: un Etat patrimonial, un parti unique, un clientélisme et une corruption généralisés, une certaine forme de police, une relation viciée (sinon vicieuse) entre les gouvernants et les gouvernés, un amas de lois décoratives et, last but not least, un parlement aux ordres et des députés grassement payés pour applaudir.
Du reste, la simple dignité aurait exigé de ces «parlementaires» qu’ils tirent eux-mêmes les leçons des événements et qu’ils rentrent chez eux, sinon pour participer au soulèvement du peuple qu’ils étaient censés représenter, du moins pour réfléchir au sens de leur présence au Palais du Bardo…
Puisqu’ils ne l’ont pas fait, nous devons alors considérer que cette instance s’est discréditée elle-même. Elle n’est donc plus habilitée à prendre la moindre décision et encore moins à autoriser son président à assurer quelque intérim que ce soit…

Une Commission nationale pour la Justice et la Paix
En lieu et place de l’article 57 et de l’intérim qu’il prévoit pour des «temps normaux», on devrait se diriger vers la constitution d’une espèce de Commission Nationale pour la Justice et la Paix. Laquelle, avec le soutien de l’armée, serait composée d’un large éventail des forces et des courants qui ont façonné la révolution. Outre les diverses enquêtes qu’elle serait chargée de diligenter (responsabilités des tueries, prévarication, violations des droits humains, causes et conséquences des dérives dictatoriales…), une telle Commission serait l’espace idéal qui permettrait aux partis et aux personnalités qui projettent de se présenter au suffrage de leurs compatriotes de se faire connaître, de rôder leurs idées, de se familiariser avec les affaires publiques et d’aller petit à petit à la rencontre de leurs futurs électeurs.
Libérer la parole. Aller jusqu’au bout de cette libération. Cerner au plus près la vérité. La proclamer sans conditions ni entraves N’est-ce pas au fond de ce genre d’apprentissage que nos futurs dirigeants ont impérativement besoin, eux qui, par la force des choses, ont été tenus loin de la scène publique et de ses exigences humaines, morales et politiques.
Soutenue par l’Armée, épaulée par un gouvernement provisoire, une Commission nationale pour la Justice et la Paix garantirait assurément les bases de cette rupture définitive que les Tunisiens appellent de leurs vœux.
A défaut d’une telle Commission, on pourrait assister à de nouvelles dérives, c’est-à-dire à la reproduction des égarements et des erreurs dont le citoyen tunisien a souffert pendant des décennies.
Qui pourrait croire en effet que les 60 jours prévus par le fameux article 57 suffiraient à préparer nos futurs dirigeants à la tâche redoutable qui les attend: renouer le fil du dialogue entre les différentes composantes de la société tunisienne et rétablir enfin la confiance entre un Peuple et son Etat.

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Tunisie. Révolution populaire et révolution de palais…

L’écrivain et professeur de science politique tunisien résidant en Suisse, l’auteur d’‘‘Elyssa la reine vagabonde’’ propose ici une réflexion sur les moyens de rétablir la confiance entre un Peuple et son Etat. Par Fawzi Mellah

Pour respectables qu’elles soient, les constitutions ne sont jamais qu’un effort intellectuel consenti par une communauté afin d’organiser sa vie publique, fixer les règles du jeu collectif et donner une assise juridique à l’Etat.

Légalité versus légitimité

Ce genre de texte prévoit donc le prévisible, c’est-à-dire ce qui est raisonnablement attendu du Citoyen et de ses Gouvernants. En somme, c’est un contrat plus ou moins élaboré fixant le droit des uns et le devoir des autres. Mais lorsque, pour une raison ou une autre, la relation entre le Citoyen et ses Gouvernants se rompt (et c’est toujours le cas des Révolutions), la Constitution en vigueur ne peut plus servir de contrat. Sans être explicitement caduque, elle devient pour le moins problématique, car elle ne reflète plus les réalités.

Or, au vu des événements – à la fois dramatiques et riches – que nous venons de vivre en Tunisie, l’appel à l’article 57 de la Constitution pour «résoudre la crise» est au mieux un légalisme déplacé, au pire un subterfuge qui pourrait s’avérer lourd de conséquences. Ainsi, on voudrait donc nous faire croire que l’on peut faire du neuf avec du vieux! Remplacer subrepticement une révolution populaire par une simple révolution de palais! Quel leurre! Indigne de nos centaines de morts et de la simple mémoire de Mohamed Bouazizi! D’autres révolutions, sous d’autres cieux, ont connu ce genre d’égarement, elles ont toutes débouché sur le contraire des principes qui les avaient animées...

Aucune constitution n’est supérieure à la volonté du peuple qui y a consenti. Or, le peuple tunisien a exprimé la sienne: il ne veut plus du «régime» qui l’a étouffé pendant des décennies. Il veut un changement de régime et non pas un changement dans le régime. Régime voulant dire, en l’occurrence, non seulement un président, mais toutes les institutions qui ont contribué peu ou prou à son maintien: un Etat patrimonial, un parti unique, un clientélisme et une corruption généralisés, une certaine forme de police, une relation viciée (sinon vicieuse) entre les gouvernants et les gouvernés, un amas de lois décoratives et, last but not least, un parlement aux ordres et des députés grassement payés pour applaudir.

Du reste, la simple dignité aurait exigé de ces «parlementaires» qu’ils tirent eux-mêmes les leçons des événements et qu’ils rentrent chez eux, sinon pour participer au soulèvement du peuple qu’ils étaient censés représenter, du moins pour réfléchir au sens de leur présence au Palais du Bardo…

Puisqu’ils ne l’ont pas fait, nous devons alors considérer que cette instance s’est discréditée elle-même. Elle n’est donc plus habilitée à prendre la moindre décision et encore moins à autoriser son président à assurer quelque intérim que ce soit…

Une Commission nationale pour la Justice et la Paix

En lieu et place de l’article 57 et de l’intérim qu’il prévoit pour des «temps normaux», on devrait se diriger vers la constitution d’une espèce de Commission Nationale pour la Justice et la Paix. Laquelle, avec le soutien de l’armée, serait composée d’un large éventail des forces et des courants qui ont façonné la révolution. Outre les diverses enquêtes qu’elle serait chargée de diligenter (responsabilités des tueries, prévarication, violations des droits humains, causes et conséquences des dérives dictatoriales…), une telle Commission serait l’espace idéal qui permettrait aux partis et aux personnalités qui projettent de se présenter au suffrage de leurs compatriotes de se faire connaître, de rôder leurs idées, de se familiariser avec les affaires publiques et d’aller petit à petit à la rencontre de leurs futurs électeurs.

Libérer la parole. Aller jusqu’au bout de cette libération. Cerner au plus près la vérité. La proclamer sans conditions ni entraves N’est-ce pas au fond de ce genre d’apprentissage que nos futurs dirigeants ont impérativement besoin, eux qui, par la force des choses, ont été tenus loin de la scène publique et de ses exigences humaines, morales et politiques.

Soutenue par l’Armée, épaulée par un gouvernement provisoire, une Commission nationale pour la Justice et la Paix garantirait assurément les bases de cette rupture définitive que les Tunisiens appellent de leurs vœux.

A défaut d’une telle Commission, on pourrait assister à de nouvelles dérives, c’est-à-dire à la reproduction des égarements et des erreurs dont le citoyen tunisien a souffert pendant des décennies.

Qui pourrait croire en effet que les 60 jours prévus par le fameux article 57 suffiraient à préparer nos futurs dirigeants à la tâche redoutable qui les attend: renouer le fil du dialogue entre les différentes composantes de la société tunisienne et rétablir enfin la confiance entre un Peuple et son Etat.