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Le leader d'Al-Jomhouri multiplie les appels du pied en direction d'Ennahdha, en espérant gagner leur soutien pour la prochaine présidentielle.

Par Marwan Chahla

Depuis quelques mois déjà, la classe politique s'affaire à préparer les scrutins présidentiel et législatif. Ni plus ni moins que les autres partis, Al-Jomhouri tente, comme il peut, de définir sa stratégie électorale, tâte le terrain, tous les terrains, se positionne et cherche à forger des alliances. Lundi dernier, son président, Ahmed Néjib Chebbi, «s'est invité» sur Nessma TV pour donner la réplique à Moncef Marzouki qui, la veille, avait longuement occupé le prime time d'EttounsiaTV...

M. Chebbi, comme le président provisoire de la république, a déclaré qu'il attendra encore d'annoncer officiellement sa candidature à la présidentielle. Il ne s'est pourtant pas privé de faire un appel du pied à Ennahdha qui pourrait choisir de ne pas se lancer dans la course au Palais de Carthage. Pour les stratèges du parti islamiste, le véritable pouvoir politique et la prise de décision se trouvent à ailleurs, au Palais du Bardo.

Un parti usé jusqu'à la corde

Ahmed Néji Chebbi et son Jomhouri se débattent pour la survie et le sauvetage du maigre capital que les élections du 23 octobre 2011 leur ont laissé. Deux années et demie d'opposition, faites d'hésitations, de tâtonnements, de revirements, de «fermeté molle», de désertions et autres épreuves ont fini par les user jusqu'à la corde. L'ex-Parti démocrate progressiste (PDP) ne serait plus aujourd'hui que l'ombre de lui-même, voire de l'histoire ancienne.

Nejib-Chebbi-Ness-Nessma

Le plus vif souhait de Chebbi est que les dirigeants islamistes donnent la consigne à l'électorat islamiste de voter pour lui à la présidentielle.

Les sondages le disent et le redisent, chaque mois, que les chances d'Al-Jomhouri aux prochaines élections sont très minimes et que, à l'avenir, il devra se contenter de jouer les seconds rôles et peut-être même d'accepter la simple figuration.

Seul Ahmed Néjib Chebbi et quelques uns de ses proches collaborateurs restent persuadés du contraire et se donnent des raisons d'espérer, soit en s'accrochant à leur passé militant, en tentant de faire cavaliers seuls sur un bon nombre de sujets ou encore en tendant une main, timide pour l'instant, à Ennahdha pour la prochaine présidentielle – et peut-être même au-delà...

Lundi, sur le plateau de Ness Nessma News, cet appel du pied au parti islamiste qui n'ose toujours pas dire franchement son nom était évident. M. Chebbi a expliqué que «les relations entre Al-Jomhouri et Ennahda sont claires: nous ne cachons rien dans les rapports que nous entretenons avec ce parti. Nous n'avons jamais tenu de réunions secrètes (allusion plus que directe à la rencontre parisienne, en septembre dernier, de Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi, NDLR). Et chaque fois que nous nous sommes rencontrés, nous avons toujours tenu à l'annoncer publiquement. Je prenais, à chaque fois que je rencontrais Cheikh Rached Ghannouchi, la précaution de me faire accompagner par un photographe pour pouvoir poster les photos de ces entretiens son notre page Facebook».

Chebbi et l'électorat islamiste

Mais, très vite, M. Chebbi a raccourci la distance Jomhouri-Ennahdha avec cette formule qui semblait exprimer un certain regret: «La dictature nous avaient unis, la Révolution nous a séparés. Ceci est une vérité indéniable: avant même les élections (du 23 octobre 2011, NDLR), nos chemins se sont séparés. Depuis octobre 2012, date de la fin de la légitimité électorale, notre partie de bras-de-fer avec Ennahdha n'a eu nulle autre intention que de parvenir à des accords pour mettre un terme à cette période de transition. Et j'estime que, dans cette affaire, nous avons, pour notre part, joué un rôle décisif. Nous avons la conscience tranquille d'avoir accompli notre mission. Aujourd'hui, Ennahdha ne dirige plus les affaires du pays. Comme nous, il s'apprête à se lancer dans la course des prochaines élections. Une chose est sûre, pour ce qui concerne les législatives, ils (les islamistes, NDLR) seront nos concurrents. Pour ce qui est de la présidentielle, il semblerait qu'Ennahdha ne prendra pas part à la course. L'on spécule qu'il envisagerait de soutenir la candidature d'un démocrate ou d'un moderniste comme... Mustapha Ben Jaâfar ou Moncef Marzouki, que sais-je encore?», s'interroge-t-il, en cachant mal son vif souhait que les dirigeants islamistes donnent la consigne à l'électorat islamiste de voter pour le candidat d'Al-Jomhouri.

Nejib-Chebbi-Rached-Ghannouchi

Les photogrpahes sont toujours appelés pour immortaliser les images de la réconciliation. Chez Chebbi, tout est calculé...  

M. Chebbi plaide encore plus directement sa cause auprès des disciples de Rached Ghannouchi: «Si je décide de me présenter à la prochaine présidentielle, Ennahdha ne cautionnera ma candidature que s'il pense que celle-ci représente la meilleure solution et qu'elle lui offre les meilleures garanties. Selon toute logique, Ennahdha choisira d'appuyer le candidat qui lui inspirera la certitude qu'une fois élu, il ne se retournera jamais contre le parti islamiste. Le scénario égyptien est là et les évènements qui se déroulent en Libye sont présents à l'esprit des dirigeants nahdhaouis pour leur rappeler qu'il y a risque... qu'il y a danger d'un retournement de la situation. En outre, Ali Laarayedh a déclaré, il y a quelques jours, qu'Ennahdha soutiendra le candidat dont les chances de remporter le scrutin présidentiel sont sérieuses».

Comprenons, donc, que si le président d'Al-Jomhouri se décide à postuler pour un mandat au Palais de Carthage et s'il est élu, il offrira à Ennahdha les assurances que ce dernier réclame – ou semble réclamer, selon lui. Il tournera la page des erreurs, des échecs et incompétences des Troïkas 1 et 2 et se contentera de meubler son oisiveté présidentielle des petites prérogatives que la nouvelle constitution a bien voulu laisser à la fonction de président de la république. M. Chebbi aura juste réalisé son plus vieux rêve : siéger au Palais de Carthage, même avec des pouvoirs au rabais.

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