A l'approche des élections, Ennahdha fait oublier ses échecs passés et se remet au centre de l'échiquier politique, mettant la pression sur ses adversaires autant que ses alliés.
Par Imed Bahri
En position défensive depuis qu'il a été obligé de quitter le gouvernement, le parti islamiste Ennahdha semble avoir amorti le choc et être déjà reparti à l'attaque. En mandatant la direction du parti, donc Rached Ghannouchi, de choisir un candidat «consensuel» pour l'élection présidentielle en négociant avec les autres partis, le Conseil de la Choura d'Ennahdha vient de mettre la barre très haut en se plaçant dans la position d'arbitre de la guerre fratricide qui s'annonce dans le camps des laïcs.
Les chefs providentiels
En effet, les islamistes savent qu'ils n'ont pas de candidat crédible issu de leurs rangs et savent encore plus qu'à part Béji Caïd Essebsi, tous les autres candidats potentiels n'ont aucune chance de faire un score honorable et encore moins de se faire élire sans leur soutien. C'est ce qui explique les alliances, anciennes et futures, de Moncef Marzouki, Mustapha Ben Jaâfar et Néjib Chebbi avec les Nahdhaouis.
Réunion ce week-end du Majlis Choura, le Politburo d'Ennahdha.
D'autre part, la décision de faire dérouler les législatives avant la présidentielle donne à ce parti une longueur d'avance. Les autres partis, y compris Nida Tounes, ont dès le départ des stratégies présidentielles basées sur le supposé charisme de leurs chefs respectifs. N'étant pas, pour la plupart, des partis idéologiques, tout se jouera pour eux sur la capacité de leurs chefs à convaincre les électeurs. En cas de défaite des chefs, ce sont les partis qui couleront.
Même le Front Populaire n'échappe pas à cette règle, nonobstant le caractère idéologique des partis qui le composent, ce qui explique que sa figure de proue, Hamma Hammami, a émis le souhait de voir la présidentielle précéder les législatives.
Quant à Nida Tounes, toute sa stratégie était basée, depuis sa création, sur le charisme et la capacité de son chef d'apparaître comme «l'homme que la providence a choisi», selon l'expression de l'un de ses nouveaux zélotes, pour délivrer le pays «des griffes de l'islamisme», ce qui n'est pas l'avis de Béji Caïd Essebsi (BCE) lui-même, qui n'arrête pas de répéter qu'il gouvernera, en cas de victoire, avec tout le monde, n'excluant pas Ennahdha de sa probable future coalition gouvernementale.
Il n'y aura pas de Morsi tunisien
D'autre part, en prenant une telle décision, le parti Ennahdha envoie un message fort aux pays occidentaux et aux bailleurs de fonds de la Tunisie qu'il n'y aura jamais de Morsi tunisien et qu'il a bien compris la leçon égyptienne. Il s'est d'ailleurs arrangé, disposant de la majorité relative à l'Assemblée constituante, de délester le futur président de l'essentiel de ses prérogatives.
Le match Ennahdha (Ghannouchi) et Nida Tounes (Caïd Essebsi) est inévitable.
Dans le même sens, Ghannouchi, depuis sa rencontre parisienne avec BCE, n'a pas arrêté de parler d'un gouvernement d'union nationale, seule moyen, selon lui, d'éviter la bipolarisation, étant donné (toujours selon lui) que le pays, dans sa phase transitoire, ne peut supporter une démocratie où la majorité gouverne et l'opposition s'oppose. Idée, qu'il avait empruntée à BCE après l'avoir «vaillamment» combattue.
C'est Nejib Chebbi, sûrement briefé par «sources nahdhaouies», qui commence le bal des «demandeurs de la main d'Ennahdha». Il s'est payé même un voyage aux Etats-Unis où le très Nahdhaoui Radwan Masmoudi, proche des néo-conservateurs américains, a décerné le prix «de la Démocratie» (sic!) à son propre parti, sous les chauds applaudissements de M. Chebbi.
Fini donc le temps où ce dernier jouait au porte-drapeau des démocrates hostiles à Ennahdha, où le récipiendaire du fameux «prix» auto-décerné, le député Sahbi Atig, haranguait la foule islamiste et appelait au «sahl» (méthode très moyen-orientale qui consiste à traîner par les pieds l'ennemi par un cheval ou une 4/4 jusqu'à ce que mort s'en suive) de ces mêmes démocrates. M. Chebbi n'a-t-il pas été lui même menacé de mort par les nervis des Ligues de protection de la révolution (LPR), enfants chéris de Ghannouchi? Mais Carthage vaut bien «une prière» que dire d'une messe.
Certains en ont conclu, à propos de cette cérémonie ridicule de Masmoudi, que «la messe fût dite» et qu'Ennahdha a choisi son poulain en la personne de son ex-ami, ex-ennemi et actuel allié, Nejib Chebbi. C'est trop vite dit, car Ennahdha n'abat ses vraies cartes qu'au dernier moment. Il faut, en attendant, que la smala continue de s'amuser en tenant les uns et les autres par la barbichette.
Radwan Masmoudi, l'homme d'Ennahdha auprès des Américains et des Américains auprès d'Ennahdha, décerne un "Prix de la démocratie" (sic!) à Ennahdha...
Le camp des laïcs divisé
Ce jeu, qui fait saliver Chebbi (et comment?), n'est pas du tout du goût de BCE, qui voit le danger de diviser le camp des laïcs et de mettre son élection, dès le premier tour, en question. Il a commencé à émettre des signes de nervosité, en déclarant que le calendrier choisi pour les élections ne respecte pas le principe de «la séparation entre les deux scrutins» établi par le dialogue national. Il sait qu'Ennahdha, en cas de victoire même relative aux législatives, fera tout pour l'éliminer ou de l'affaiblir. D'autre part, parler d'un candidat du consensus, comme le souhaite le Conseil de la Choura d'Ennahdha, c'est déjà écarter BCE et tenter de l'acculer à se désister en faveur d'un autre candidat qu'Ennahdha mettrait en avant.
Quant à Marzouki, et Ben Jaâfar, partis en campagne depuis des mois et qui ont toujours nourri l'espoir d'êtres les heureux élus des islamistes, ils n'ont plus guère de choix que de continuer à lui faire les yeux doux. Ils ont d'ailleurs le dos au mur!
Pendant ce temps, Ghannouchi va continuer à jouer avec eux au chat et à la souris surtout qu'ils n'ont plus aucun moyen de pression sur lui. Sans parler des autres candidats qui vont se proclamer et qui n'auront d'autre choix que de courtiser le seul parti fort qui ne présente pas de conquérant. Autant dire que l'on voit déjà la future scène politique se dessiner. Tout tournera autour d'Ennahdha à moins que BCE ne sorte de sa manche une de ses cartes dont il est le seul à avoir le secret.
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