tunisiens au canada manifestation
Frustration, peur, joie, tristesse, soulagement, autant d’émotions par lesquelles la diaspora de Montréal est passée ces dernières semaines.
Sarra Guerchani, Montréal.


A 10.000 kilomètre de la Tunisie, à défaut d’être sur place avec ses proches, la communauté a suivi minute par minute, sur internet et via les chaînes d’information, les événements dans leur pays d’origine.
Malgré le sentiment de joie et de libération, la frustration est présente dans les réactions de la diaspora. «Je viens de rater le rendez-vous historique de la Tunisie et de notre peuple là-bas. C’est un sentiment très partagé, explique Khelil, établi à Montréal depuis 13 ans. Je suis tout d’abord fier, mais j’ai peur pour les membres de ma famille; ma femme et mes deux enfants sont en Tunisie en vacances.» Mais Khelil ajoute: «J’envie ma femme d’avoir vécu ces moments». Avec son épouse, ils se sont organisés pour ne rien rater. «C’est très dur de suivre les événements à distance. Je n’arrive pas à me concentrer au travail. Mes journées sont longues au bureau, avec un œil sur Facebook, pratiquement tout le temps. J’ai pu rester connecté avec ma famille en Tunisie grâce à ce réseau social. J’avais des réunions, mais la moitié de mon cerveau était là-bas. Après le travail ça continuait, je soutenais le peuple en diffusant l’information sur internet. Je veillais jusqu’à 1 heure du matin (heure montréalaise), pendant que ma femme dormait. A 7h du matin en Tunisie,  je lui envoyais un message pour la tenir au courant de ce qui s’est passé pendant sa nuit. Et ce, afin qu’elle prenne le relais... et ainsi de suite».

tunisiens au canada manifestation

Le mutisme complice des pays occidentaux
Afin de relayer l’information auprès des médias canadiens et rassembler la communauté tunisienne, le Collectif de solidarité au Canada a été créé par un groupe de jeunes tunisiens. On a demandé au Premier ministre du Canada, Stephan Harpen, de rappeler le gouvernement tunisien à ses obligations de retenue, en vain. Le Canada, comme la plupart des pays occidentaux, est resté muet. Seuls quelques partis politiques québécois, sensibles à la cause des Tunisiens, ont répondu présents à l’appel.
Le porte-parole du collectif, Haroun Bouazzi, 30 ans, résidant à Montréal, depuis 11 ans, architecte pour une société gouvernemental canadienne, a mené le combat d’ici. «Je ne pouvais pas rester sans rien faire. Je ne suis pas en Tunisie», explique t-il. Jour et nuit, il est sur toutes les chaines de télévision et les radios canadiennes. Il tente d’expliquer les contextes social et politique de la Tunisie, que les Canadiens, dans leur majorité, découvraient. Il est aujourd’hui partagé entre fierté et colère. «Les Tunisiens ont écrit une partie de leur histoire. Il faut reconstruire le pays. Je reste tout de même partagé entre deux sentiments», souligne Haroun Bouazzi. «Je suis en colère pour le sang qui a coulé, pour le pillage, et les cassures, mais aussi très fier de voir qu’on y est arrivé», ajoute-t-il.
Le collectif a permis de rapprocher les membres de la communauté tunisienne de Montréal, en leur donnant des moments de solidarité et de débats. Le 14 janvier, le collectif s’est rassemblé pour fêter la destitution de Ben Ali, et suivre ensemble en direct les événements.
«Lorsqu’on a vu les images sur l’avenue Habib Borguiba, avec ces dizaines de milliers de Tunisiens qui manifestait devant le ministère de l’Intérieur et ces gens qui portaient des t-shirts  sur lesquels ont pouvait lire ‘‘Tirez sur moi’’, on a été très émus.» Il poursuit: «Et puis, ces citoyens qui criaient des slogans que jamais on aurait cru pouvoir entendre un jour, qu’est ce que j’en ai été fier! Voir les policiers pleurer devant la population. C’était vraiment quelque chose de fort. J’ai vécu la rage, la colère et le désespoir… J’ai eu des larmes de peine, quand j’ai vu que les pillages et les massacres se poursuivre.»
Sonia Djelidi, une Tunisienne de 33 ans, née au Québec, coordinatrice du Collectif, n’a connu que très peu son pays natal, où elle a passé une année (à l’Université de Tunis III) et se rend durant les vacances d’été. «J’ai grandi avec l’idée qu’il fallait éviter de parler de la politique en public. Aujourd’hui, en voyant ce qui se passe, je suis contente qu’à travers notre soutien, ici au Canada, nous avons pu mettre la Tunisie sous les projecteurs pour faire réagir la communauté internationale.» Cependant, pour elle, le combat n’est pas terminé. «J’ai peur de ce qui risque d’arriver. On ne s’arrêtera pas là. Ce n’est pas une fin, c’est un début. Il va falloir mettre la pression et continuer le travail déjà fait.»

Confiants en l’avenir
Malgré les violences qu’a vécues la Tunisie, la diaspora voit d’un bon œil ce qui arrive. «J’éprouve une grande fierté d’être Tunisienne et je suis très confiante en l’avenir. Nous avons payé le prix du sang, et ça a donné ses résultats», confie Faten, autre Tunisienne de 24 ans, à Montréal depuis 3 ans.
Le successeur de Ben Ali reste un point d’inquiétude pour les Tunisiens.  «J’espère juste que la transition se fera dans les règles et avec transparence», souligne Mouna, étudiante à Montréal de 27 ans.
La Tunisie est devenue un exemple pour le reste des pays sous dictature. «C’est un exemple pour le monde arabe», réplique, Aziz, 34 ans, étudiant, à Montréal depuis 4 ans. Et Haroun Bouazzi atteste: «Nous avons donné une leçon au gouvernants des pays arabes et africains. Je suis sûr qu’ils vont remettre en question pas mal de choses dans leur façon de gérer leur pays.»
Même si les membres de leur famille sont en Tunisie, et qu’ils se portent bien. Tous ces Tunisiens à Montréal s’inquiètent pour les gens qu’ils ont vus se faire tabasser, tirer dessus et arrêter par la police pendant les manifestations, sur les vidéos qui circulaient sur les réseaux sociaux.
Interpellés par les événements dans leur pays, qu’ils qualifient d’«historiques», un grand nombre de ces Tunisiens se sont rassemblés au lendemain de la chute de Ben Ali, afin de fêter cet événement. Cependant, ils n’oublient que des personnes sont tombées durant les quatre semaines avant le départ du dictateur. «Vive la Tunisie et longue vie à son peuple. Un salut spécial à Mohamed Bouazizi, paix à son âme. Il a ramené la fierté des Tunisiens à sa place», disent ces expatriés d’une seule voix.