Nida Tounes va constituer ses propres listes pour les législatives car il ne peut risquer de présenter en têtes de listes des candidats de gauche, invisibles dans le pays profond.
Par Imed Bahri
Les déclarations des leaders de la gauche se multiplient et se ressemblent: ils ne comprennent pas pourquoi Nida Tounes a choisi de faire cavalier seul et de présenter uniquement ses propres listes aux législatives. A peine s'ils ne parlent pas de «trahison».
La semaine dernière, c'est Samir Ettaieb, porte-parole d'Al-Massar, qui jurait tous ses dieux, sur les ondes d'une radio locale, que la coalition de l'Union pour la Tunisie (UpT) a été fondée pour constituer des listes électorales uniques, et considérait que si Nida Tounes choisissait de partir seul aux élections, il devrait quitter cette structure.
Caïd Essebsi n'est pas près d'abdiquer
Jounaidi Abdeljaoued, membre dirigeant du même parti, a poussé le bouchon plus loin en considérant que ce serait alors le retour au modèle du parti unique, sans trop préciser le sens de son affirmation.
Conseil national de Nida Tounes, dimanche à Tunis: les troupes sont en ordre de marche sur la dernière ligne droite des élections.
Quant à Mohammed Kilani, président du Parti socialiste, autre leader historique de la gauche, il s'est carrément offusqué de l'attitude inexplicable de Béji Caïd Essebsi (BCE), le tonitruant président de Nida Tounes.
Avant eux c'était Néjib Chebbi, leader du parti Al-Jomhouri, qui, après avoir longuement espéré être investi par la coalition pour courir la présidentielle, a compris très tôt que BCE n'a pas l'intention d'abdiquer même à son âge (87 ans) et il est allé se jeter dans les bras d'Ennahdha, espérant être son candidat du «consensus».
Quant au leader du Front populaire, Hamma Hammami, qui commence à son tour de nourrir des ambitions présidentielles, il avait senti le danger de trop s'approcher de BCE et de Nida Tounes, et annoncé depuis quelque temps déjà que les partis du Front ne feront pas de listes communes avec Nida, trop libéral et trop «ancien régime» à leurs yeux.
Caïd Essebsi a désespéré Chebbi qui s'est jeté dans les bras d'Ennahdha.
Pourtant, il ne faut pas être diplômé de science-po ou de polytechnique pour comprendre que BCE ne fera jamais d'alliance électorale avec quiconque, car Caïd Essebsi est un Destourien pure souche et chez les Destouriens, le pouvoir ne se partage pas. Rappelons-nous la fameuse phrase de BCE lorsqu'il a été coopté Premier ministre: «Quand je suis aux commandes, c'est moi seul qui décide!» et il a conformé ses actes à ses paroles, malgré la situation catastrophique de l'époque (mars-décembre 2011). Il s'est même arrangé pour écarter délicatement Ahmed Chebbi et Ahmed Ibrahim (Al-Massar) du gouvernement.
Une impitoyable loi électorale
Mais ce n'est pas uniquement pour cela que Nida Tounes va partir seul avec ses propres listes. On voit mal ce parti, qui compte sur la «machine» du RCD, l'ancien parti au pouvoir dissous, présenter en tête de liste un candidat de gauche, surtout dans le pays profond. Non seulement, il risque de perdre ses militants destouriens mais surtout son électorat qui risquerait par pique d'aller voter pour ses concurrents, dont Ennahdha.
Béji Caïd Essebsi et Hamma Hammami: alliés d'hier, concurrents de demain.
N'oublions pas que la majorité des Destouriens de base considèrent la gauche comme étant responsable du décret qui les avait éliminé des élections du 23 octobre 2011, ce qui n'est pas totalement faux, même si c'est BCE, alors Premier ministre, qui l'a signé «malgré lui», comme il l'a toujours répété.
Mais le plus important est que tous les partis de gauche, après trois ans et demi pendant lesquels ils ont écumé les plateaux de télévision et de radio, n'ont en réalité aucune existence réelle dans les villages et les douars où on ne trouve que les islamistes ou les anciens destouriens, qui ne sont pas forcément affiliés à des partis politiques.
C'est donc par calcul électoral que les dirigeants de Nida Tounes ont opté pour la solution de faire cavalier seul quitte à devenir la cible de leurs anciens alliés. Et puis le code électoral ne leur laisse aucun choix. Ennahdha part aussi tout seul avec ses listes, laissant sur le bas-côté ses partis satellites. N'est ce pas cette gauche, actuellement désabusée, qui a voté ce code après l'avoir discuté longuement? Comment n'a-t-elle pas compris que c'est un code qui pénalise les petites formations avec une proportionnelle à trompe l'œil?
Mais la vraie question que doit se poser la gauche est la suivante: pourquoi, malgré la similitude de ses programmes politiques et économiques, sans parler de son référentiel idéologique commun, ne peut-elle pas constituer un front électoral commun? La réponse est évidente! Comme le dit le proverbe tunisien, «Kouthrat al-royyes ygharquou asfina» (Plusieurs capitaines sur un même bateau finissent par le couler).
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