La première apparition publique du ministre de l’Intérieur, hier, a été catastrophique. Au lieu de rassurer les Tunisiens, Ahmed Friaa leur a envoyé des signes inquiétants. Ridha Kéfi


Dressant le bilan des pertes humaines et matérielles enregistrées durant les troubles, qui ont secoué pendant un mois la Tunisie, M. Friaâ a fait état de 78 morts et de 94 blessés parmi les civils. Des chiffres en-deçà de ce qui a été annoncé par d’autres sources crédibles.
Le ministre a également évoqué de nombreux morts dans les rangs des forces de sécurité sans donner de chiffre précis.

Volonté de rupture et retour des vieilles pratiques
S’agissant des dégâts matériels, M. Friaâ a dénombré de nombreux bâtiments endommagés: 85 postes de police, 46 postes de la garde nationale, 33 sous-préfectures, 13 mairies, 43 agences bancaires, 66 espaces commerciaux, 11 usines et de nombreuses autres entreprises. Il n’a cependant pas indiqué l’ampleur des dégâts provoqués par les manifestants dans les bureaux et les sièges de l’ex-parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique constitutionnel (Rcd). Ce qui laisse planer des doutes sur la volonté de rupture avec les vieilles pratiques chez les membres du gouvernement issus de l’ancienne majorité.  
Autre élément d’inquiétude: le manque à gagner pour l’économie, du fait de la paralysie des activités et de l’arrêt des exportations s’élèverait, selon M. Friâa, à 3 milliards de dinars (environ 1,5 milliard d'euros), soit l’équivalent d’une année de recettes touristiques.
Par ailleurs, M. Friaâ aurait du se contenter de donner aux Tunisiens un tableau précis de la situation sécuritaire: l’identité des tireurs, leur appartenance, le nombre d’arrestations effectuées dans leur rangs et parmi l’entourage de l’ex-président, les perspectives de sortie de crise, etc.
Le ministre de l’Intérieur, reniant avec la langue de bois caractéristique de l’ancien régime – chassez le naturel, il revient au galop! –, a cru devoir donner des leçons aux Tunisiens et leur faire endosser la responsabilité des dégradations et des violences enregistrées ces derniers jours.

Pour une rupture définitive avec le Rcd
En ne marquant pas sa distance avec les représentants de l’ancien régime, et notamment au sein de l’ex-parti au pouvoir et des appareils sécuritaires, le ministre de l’Intérieur a laissé le doute s’installer, dans l’opinion des Tunisiens, sur la volonté du gouvernement dirigé par le Premier ministre Mohamed Ghannouchi de rompre avec le passé et de s’inscrire dans une démarche de refondation du système politique national sur la base d’un pluralisme réel où toutes les forces sont représentées, sans exclusion.
Le rejet dont fait l’objet aujourd’hui la liste du gouvernement annoncée par M. Ghannouchi (notamment par l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) et certaines formations politiques) s’explique par le manque de confiance dans les représentants de l’ancien parti quasi-unique.
Pour calmer ces inquiétudes, les membres du gouvernement d’union nationale issus du Rcd, y compris M. Ghannouchi, seraient bien inspirés d’annoncer publiquement leur démission de ce parti détesté par une majorité de Tunisiens et leur détermination à œuvrer pour la mise en place d’une démocratie pluraliste réelle en Tunisie.