wled elhouma
Devant l’ampleur des dégâts, ‘‘Awled el houma’’ (les enfants du quartier) ont pris les choses en mains, avec leurs seuls armes: courage, volonté,  bâtons et barrages de fortune pour contrer pilleurs et miliciens armés.
Zohra Abid


Quatrième jour après Ben Ali: le calme est loin de se rétablir. Les hélicoptères sillonnent, de temps en temps, le ciel moutonneux. Pas de tirs au petit matin et un semblant de vie active a repris. Côté politique: ça chauffe dans les rues des grandes villes. Des marches hostiles au gouvernement provisoire, constitué la veille, notamment par des figures «emblématiques» de l’ancien régime, haussent le ton et crient leur colère. Des noms tombent, des démissions à la pelle  alimentent toutes les causeries.

Le parfum de la liberté
Mohamed, Ali, Brahim, Mustapha, Mourad, Khaoula, Mariem, Khedija et tous les autres tiennent le même discours (enfin, presque !). Leurs slogans: droit au travail, liberté, dignité et, surtout, «Rcd dégage»!
«Le fait de goûter au parfum de la liberté ne nous fera pas reculer. Face au mal que nous a fait subir Ben Ali, les Trabelsi, et leur horde de pillards et tortionnaires, 23 ans durant, nous devons rester prudents, vigilants et debout. La plupart des citoyens ont regagné leur lieu de travail, un peu dans la peur. Nous gardons la cité à tour de rôle avant, durant et après le couvre feu…», raconte Nizar, armé seulement de volonté et de courage, comme tous les Tunisiens, notamment ses voisins de la Cité El Khadhra.

comite de quartier Tunisie

Un peu plus loin, la cité huppée d’El Menzah ressemble à toutes les autres. ‘‘Awled el houma’’ – des lycéens forcés à faire l’école buissonnière depuis une bonne semaine –, ont appris à se côtoyer et à mieux se connaître. Ils n’ont rien à faire de leur longue journée. «Nous passons le plus clair de notre temps à jouer au chat et à la souris et à garder notre périmètre sacré. Nous bloquons toutes les issues par du n’importe quoi, on contrôle tout...», raconte Chedly qui, comme tous ses voisins, a enfilé, pour l’occasion, un tricot de peau blanc et s’est armé  d’un bâton.

Chassez les loups, ils reviendront au galop!
Le téléphone retentit. Amine décroche et annonce à ses copains qu’un tireur d’élite vient d’être capturé par les habitants de la cité populaire Mnihla. Amine rapporte que le capturé est un milicien affidé de l’ancien régime.
La même scène se répète inlassablement à la cité El Ghazala. Tout le monde garde tout le monde et on se méfie de toute voiture conduite par un visage inconnu.
On se réunit, on nettoie les rues, on ramasse les ordures ménagères et on se raconte des choses… «Ça va pas ! Rien n’est clair et chaque clan tire le drap de son côté. J’aurais bien aimé ne pas voir sur TV7, devenu aujourd’hui la Télévision tunisienne nationale, les mêmes têtes de l’ancien régime. Chassez les loups, ils reviendront au galop! Les uns pour se greffer sur notre noble cause et les autres nous mijoteront des plats salés avec leur pouvoir «rcdéiste». On en a marre enfin ! Ils n’ont pas compris qu’ils n’ont plus de place, que l’affaire est de liberté et de dignité, que l’appareil de «leur» Ben Ali n’est plus en marche, qu’on est des garde-fous de ce pays et qu’aucun gouvernement ne va dorénavant nous confisquer la parole ou nous tirer vers le bas ou dessus. Hier, j’ai applaudi lorsque des fonctionnaires de la Bna ont cassé la déclaration du 7-Novembre en marbre placardée sur la façade de leur banque …», dit au téléphone Mehdi. Son voisin, les traits tirés et graves, a une autre opinion.

Comme des feuilles d’automne…
«Ce n’est qu’un gouvernement provisoire. Le temps de passer les clés de la maison, et ils disparaîtront tout naturellement. Un peu de patience! Tout se stabilisera. Nous n’allons pas tomber dans les pièges de quelques aventuriers fougueux. Les élections, les vraies élections feront bien le tri… Et nous ferons barrage aussi à tous ceux qui n’ont rien compris de notre soulèvement, y compris les barbus», raconte Imed qui, après avoir passé une énième nuit blanche, a du mal à reprendre le travail et il vient de rentrer. Une autre nuit l’attend au pied de son immeuble.
Comme une bonne majorité des «Awled el houma», Mohsen a pointé à 9 heures à son travail. Il dit que l’administration du ministère de l’Agriculture est dans le flou et que son parton ne sait pas où tourner la tête. Il attend les ordres pour céder la place… mais les ordres de qui», s’exclame-t-il avant de prendre la relève et de remettre la casquette des «Awled elhouma» et de fondre dans le noir de la nuit pour chasser les indésirables. A suivre !