Longtemps muet, Mohamed Ghariani, symbole de l'ancien régime et qui cherche à reprendre du service dans le prochain, vient de parler. Il en dit un peu trop et pas assez...
Par Imed Bahri
Mohamed Ghariani vient de rompre son long silence en accordant une interview à ''Russia Today'' en arabe. C'est le dernier secrétaire général du RCD, l'ancien parti au pouvoir dissous par décision de justice, actuellement «conseiller spécial» du président de Nida Tounes, Béji Caïd Essebsi.
On ne sait pas qui l'a mandaté pour présenter ses excuses pour les exactions commises lors du règne de Ben Ali et du RCD, même s'il précise que c'est en son nom personnel, tout en s'exprimant au nom de tous, vieille entourloupette pour éviter les avalanches de critiques qui ne manqueront pas de s'abattre sur lui. Mais, engage-t-il en cela M. Caïd Essebsi, lui aussi un cacique des deux régimes de Bourguiba et de Ben Ali? Mais pourquoi maintenant, à quelques mois des élections présidentielle et législatives?
Ghariani est-il à l'étroit dans Nida Tounes?
Un apparatchik comme Ghariani n'a jamais l'habitude de parler sans directives et encore moins quand on est «conseiller» du prince et qu'on est payé pour ça. Il n'est pas non plus du genre à rompre la discipline au moment où le parti de son patron passe par une mauvaise passe, nonobstant les déclarations triomphalistes de son porte-parole, Lazhar Akremi, suite à la décision de Nida Tounes d'aller seul aux charbons avec ses propres listes en larguant ses anciens alliés de la gauche laïque et modérée.
Ghariani sent-il le vent tourner contre lui au sein de Nida Tounes, surtout après les déclarations graves de Touhami Abdouli, l'une des personnalités politiques fraîchement ralliée à l'Union pour la Tunisie (UpT), et qui visiblement le visent, et tente de rassurer ses adversaires sur ses intentions, puisqu'il déclare qu'il ne se présentera ni à la présidentielle ni aux législatives, ce qui ne surprend personne, surtout parmi ceux qui le connaissent bien?
Ou peut-être a-t-il été chargé de transmettre un message de son actuel patron aux Rcdistes à l'intérieur et à l'extérieur de Nida Tounes où il déclare forfait en attendant une hypothétique réconciliation nationale dont tout le monde parle, même Rached Ghannouchi et Ennahdha, et qu'on ne voit pas venir.
Mais, demander aux Destouriens qui ont servi l'ancien régime de se désister n'est-il pas aussi une autre façon de baliser le terrain devant Ennahdha surtout dans les régions et la campagne profonde où la gauche et les laïcs ont du mal à s'implanter?
En tout cas, le «conseil» donné par Ghariani à ses anciens amis ne peut pas déplaire aux Nahdhaouis qui chassent sur les mêmes terrains que les Destouriens, mais on n'est pas sûr que ce «conseil» sera apprécié par les anciens barons du RCD, ainsi que par une partie des chefs régionaux et locaux de Nida Tounes.
M. Ghariani vient, en tout cas, d'inventer une nouvelle théorie: faire de la politique sans vouloir être au pouvoir! Plus philanthrope que lui tu meurs. C'est pour la gloire et certainement pour la patrie. On ne peut pas dire qu'il ait rompu avec la langue de bois qu'on lui connait.
Mohamed Ghariani (ai 1er plan) lors d'un meeting de Nida Tounes à Tataouine.
Un lobbyiste en service commandé
Tout le monde sait que si Ghariani «conseille» BCE (en quoi?) c'est contre des sonnantes et trébuchantes. Ghariani est, en réalité, chargé de récupérer les anciens réseaux des étudiants RCD pour les empêcher de rallier les autres formations destouriennes au profit du fils de BCE, Hafedh, qui s'est déclaré leader de la composante destourienne de Nida Touns.
Ghariani a l'avantage d'avoir fait la même chose au sein du RCD mais non pas pour le compte du fils mais pour celui du gendre de Ben Ali, Sakher El-Materi. Le problème c'est qu'à l'époque son expérience en matière de «lobbying» pouvait servir, alors que maintenant plus rien ne peut plus être caché.
Ghariani prétend même dans le même entretien que certains partis de l'opposition (à Ben Ali) l'ont défendu, sans dire lesquels. Il s'est attaqué curieusement à ceux qui l'ont mis en prison sans dire encore une fois lesquels. Il a rappelé juste la date de son incarcération (avril 2011), période à laquelle BCE était Premier ministre et le ministre de la Justice n'est autre que l'actuel numéro 2 (selon la hiérarchie de l'âge) de Nida Tounes, Lazhar Karoui Chebbi!
Mais qui, Ghariani accuse-t-il au juste? C'est à ne plus rien comprendre ! Qui sont ces «revanchards», selon ses propres termes, qui l'ont jeté injustement en prison, sachant qu'il n'était pas le seul dans ce cas? N'est ce pas là une accusation à peine déguisée lancée à BCE et aux ex-ministres de celui-ci, et actuels camarades de Ghariani? A moins qu'il vise un mystérieux «gouvernement de l'ombre» qu'il se garde bien de nommer. Il aurait quand même pu nommer les «opposants» à Ben Ali qui l'ont soutenu (sic!) à moins, encore une fois, qu'il ne veuille pas dévoiler les noms de ses vrais amis actuels!
Le fait qu'il n'ait pas choisi un média national pour présenter ses excuses aux Tunisiens prouve que Ghariani continue de se méfier de nos journalistes qui auraient pu poser des questions plus embarrassantes sur son rôle entre le 20 décembre 2010 et jusqu'à son incarcération en avril 2011. En tout cas, tôt ou tard, il sera amené à répondre à toutes ces questions.
Ghariani a toujours été un homme mystérieux même pour ses proches. Derrière des apparences d'homme affable et discret, presque effacé, il a toujours senti dans quel sens souffle le vent et a su se positionner pour donner un coup d'accélérateur à sa carrière politique. S'il a choisi de parler c'est qu'il a senti que quelque chose se prépare et tente de se positionner de nouveau. Mais quoi et pour qui fait-il aujourd'hui des appels du pied?
{flike}