Les poubelles de Djerba ne vont pas encourager les touristes à revenir dans l'île. Les dessous politiques d'une affaire qui pue à mille lieux à la ronde.
Par Imed Bahri
Tout le monde a été surpris lorsque les paisibles habitants de Guellala, village de potiers berbères de l'île de Djerba, ont envoyé à l'hôpital plus de 50 policiers venus leurs imposer l'ordre de laisser déverser les ordures dans le dépotoir aménagé pour un montant de 6 milliards de millimes.
Ma poubelle dans le jardin du voisin
C'est que dans l'histoire de l'île, plusieurs fois millénaire, on n'avait jamais connu une telle flambée de violence, notamment chez ces paisibles «guellaliya» (potiers) et pêcheurs qui, depuis l'ère phénicienne et les fouilles récentes de Tlat de Guellala, s'adonnaient à la fabrication de poteries, à la pêche, à l'agriculture et au commerce en dehors de l'île.
Pourquoi donc cette réaction aussi violente en 2012 et celle des habitants d'Ajim, village de pêcheurs d'éponges et de mulets qui ont repoussé avec violence les agents municipaux de Houmet Souk venus polluer leur territoire avec leurs déchets?
Des poubelles déversées devant le siège de la mairie de Houmet Souk.
Il faut répondre à la vraie question: pourquoi ces dépotoirs ont-ils été installés dans le côté nord non touristique loin des hôtels, de Houmet Souk et de Midoun, alors que l'essentiel des déchets proviennent de cette partie de l'île, sachant que les mairies de ces deux villes perçoivent une taxe sur chaque nuitée passée par un touriste dans les hôtels. Comme il n'y a aucun hôtel de l'autre côté de l'île, les municipalités d'Ajim et Guellala peinent à boucler le titre 2 du budget déjà trop maigre.
La réponse est simple, les élus de l'île, avant et après le 11 janvier 2011, ont toujours été choisis parmi les habitants du versant sud, là où il y a le pouvoir politique à des exceptions près. La preuve, la nouvelle déléguée fraîchement débarquée décide de jeter les déchets de sa ville sur le littoral de la ville d'Ajim, certainement mal conseillée par des membres de la mairie parachutés après 2011. C'est comme si on se débarrasse de sa poubelle en la jetant dans le jardin du voisin. D'où les réactions violentes.
L'opération de Com' de la ministre du Tourisme Amel Karboul à Ajim a tourné court.
Cependant, il faut reconnaître que le dépotoir aménagé de Guellala peut être la solution à condition qu'on arrive à convaincre les habitants du sérieux du projet. S'il a été fermé par le gouvernement Jebali, c'est parce que son émissaire était le fameux Slim Ben Hmidane, originaire de Midoun, qui s'est fait dégager, parce qu'il ne représente aucunement les habitants. Etant élu par les Nahdhaouis sous l'étiquette du Congrès pour la république (CpR), il a eu du mal à convaincre les habitants de Guellala de la nécessité de rouvrir la décharge. Pour calmer le jeu, il a tenu un discours démagogique, devenant même l'un des défenseurs de la fermeture du dépotoir!! Ce qui fût fait sans trouver de solutions au problème des déchets. C'est ainsi qu'après avoir pollué l'espace politique, Slim Ben Hmidane a pollué l'environnement jerbien tout court.
Les habitants de Guellala et Ajim manifestent contre l'ouverture d'une décharge dans leur région.
Revenir au principe du pollueur payeur
La décision de rouvrir tous les dépotoirs fermés par les «révolutionnaires» est juste du point de vue de la loi et de l'écologie, à condition qu'il y ait équité dans le choix des lieux, selon le principe du pollueur payeur, et que chaque ville ou village s'occupe d'abord de sa propre poubelle.
En attendant, l'opération Com. d'Amel Karboul, ministre du Tourisme, qui s'était transformé, un laps de temps, en agent «nettoyeur» sous l'œil des caméras, n'a servi ni à rendre Ajim plus propre, ni à convaincre les touristes français que Djerba n'est plus une grande poubelle à ciel ouvert, pour paraphraser un titre du journal ''Le Monde'' sur la Tunisie «post révolutionnaire».
L'affaire des poubelles de Djerba n'est pas pour encourager les touristes à venir. Et dire que Pénélope avait failli perdre son Ulysse à cause de l'île des Lotophages, mangeurs du Lotos. Il doit se retourner dans sa tombe.
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