L'alignement de plus en plus visible d'Al-Joumhouri sur les positions d'Ennahdha s'apparente à un suicide politique pour ce parti en perte d'identité et de crédibilité.
Par Marwan Chahla
Le Parti républicain (Al-Joumhouri) éprouve toujours le plus grand mal à surmonter le traumatisme du 23 octobre 2011. Depuis cette date, il n'a plus su où donner de la tête: ses tergiversations, ses atermoiements, ses hésitations et ses contradictions ne se comptent plus. N'ayant plus trouvé son bonheur au sein de l'opposition, où il s'est réfugié pendant plus de deux années, il a décidé de quitter l'Union pour la Tunisie (UpT) et le Front du salut national (FSN) pour poursuivre une errance solitaire qui, désormais, lui fait prendre systématiquement le contrepied des positions de ses anciens alliés de l'opposition... et le mène à sa mort certaine.
Des positions contradictoires
Mercredi, Ahmed Néjib Chebbi, le président du Haut comité d'Al-Joumhouri, a opposé un non catégorique à la suggestion faite par nombre de dirigeants du centre-gauche souhaitant un report des élections.
Pourtant, il y a quasi-unanimité sur le fait que, au rythme (très lent) où vont les choses et étant donné le peu de motivation dont a fait preuve jusqu'ici une bonne partie de l'électorat, il y a un grand risque que les prochains scrutins législatif et présidentiel soient marqués par des taux de non-enregistrement sur les listes électorales et d'abstention très élevés.
Les prochaines élections pourraient être libres, transparentes et indépendantes, mais il y a un sérieux danger qu'elles perdent leur crédibilité si 40 ou 50% des électeurs, pour une raison ou une autre, ne glissent pas leurs bulletins de vote dans les urnes, en octobre et novembre prochains.
Issam Chebbi et Rached Ghannouchi: jusqu'où pourra aller le rapprochement entre Al-Joumhouri et Ennahdha?
Par conséquent, la logique s'impose: une prolongation de l'opération d'inscription sur les listes électorales accorderait plus de temps à l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), aux partis politiques eux-mêmes et à la société civile pour mobiliser et motiver les citoyens à «s'acquitter de cette obligation électorale».
Pour M. Chebbi, la proposition faite par Béji Caïd Essebsi (BCE), président de Nida Tounes, de prolonger les inscriptions sur les listes électorales «est anticonstitutionnelle et porterait atteinte aux intérêts du pays», expliquant que «la Tunisie ne supporterait plus que la transition, qui n'a que trop duré, soit prolongée encore plus».
Et, pour donner plus de précision à son attaque frontale contre le président de Nida Tounes, le chef d'Al-Joumhouri a ajouté, hier au micro de Nessma TV, que «ce report (de la clôture de l'enregistrement sur les listes électorales, NDLR) sert les intérêts des élites politiques qui veulent connaître l'étendue de leur popularité et leur poids électoral». «Non, soyons sérieux, a-t-il martelé, à présent, les jeux sont faits. Que chacun retrousse ses manches. Allons au plus vite aux urnes et accordons, enfin, le droit au peuple de se prononcer. Faisons cela au plus vite car il y va de l'intérêt suprême de la Tunisie».
Visiblement pressé d'en découdre avec les autres candidats à la course au Palais de Carthage, notamment BCE qui est toujours en tête des sondages, M. Chebbi insiste : «Le pays n'en peut plus d'attendre et ses institutions s'effondrent. Il s'agit, de toute urgence, de sauver le projet national. La Tunisie ne peut plus supporter le moindre report de ce sauvetage». Et de conclure en utilisant l'arme fatale de l'anti-constitutionnalité du report: «Nous venons à peine d'adopter une constitution. Allons-nous la respecter ou se jouer d'elle? Non, nous n'allons pas enfreindre notre nouvelle Loi fondamentale à la première occasion de son application!».
Alignement sur Ennahdha
Cet argument de l'anti-constitutionnalité de la prolongation de l'inscription sur les listes électorales cache très mal, outre l'alignement de plus en plus visible d'Al-Joumhouri sur les positions d'Ennahdha, un certain comportement suicidaire de la direction de cette formation politique qui, depuis quelque temps déjà, n'est plus que l'ombre d'elle-même.
Sans substance programmatique réellement intéressante et mobilisatrice, avec des positions et des principes approximatifs et se contentant des prestations télévisuelles et radiophoniques de quelques dirigeants beaux parleurs, Al-Joumhouri (comme le Parti démocrate progressiste, PDP, dont il est la continuation) aura du mal à être plus qu'un parti d'opposition. Il jouera des rôles seconds, voire plus inférieurs, à toutes les élections à venir et, de ce fait, ses chances d'être un parti de gouvernement restent très limitées.
Le PDP a peut-être pu faire illusion, au lendemain de la Révolution. Les élections du 23 octobre 2011 l'ont remis à sa place. Les scrutins de cette fin d'année risquent d'être encore plus sévères envers Al-Joumhouri et l'égocentrisme d'Ahmed Néjib Chebbi.
Illustration: Néjib Chebbi ne rate aucune occasion pour s'afficher avec Rached Ghannouchi.
{flike}