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Faut-il ou pas honorer l'invitation de l'ambassadeur de France pour la célébration du 14 Juillet? C'est la question qui préoccupe la classe politique tunisienne.

Par Imed Bahri

 «Pique-assiettes» est une expression péjorative utilisée par des diplomates pour désigner les convives qui se glissent dans les réceptions sans invitation. C'est pourquoi, il est souvent inscrit sur les invitations qu'elles sont nominatives et individuelles et on charge même un diplomate discret de filtrer les invités et d'éconduire les intrus, discrètement et sans faire de scandales.

Chez nous, certaines ambassades qu'il n'est pas «diplomatiquement correcte» de nommer ont fini par avoir des «pique-assiettes» statutaires.

Viande halal, fromage et Bordeaux

Certains Tunisiens et Tunisiennes sont connus, en effet, pour être présents dans toutes les réceptions d'ambassades sans que l'on sache pourquoi ils sont invités! Moyennant de menus services rendus aux fonctionnaires de ces vénérables institutions, ils s'arrangent pour êtres sur les mailing-listes permanentes souvent sans que les chefs des missions les connaissent personnellement. Les ambassadeurs changent ainsi que les diplomates, mais jamais les invités, toujours les mêmes.

Ceci est valable pour nos ambassades à nous à l'étranger.

Cependant, un nouveau genre de pique-assiettes est apparu ces trois dernières années. Il s'agit d'un genre «révolutionnaire» qui connait son heure de gloire grâce au «printemps arabe». Les services des ambassades occidentales ont dû détruire leurs anciennes mailing-listes pour en établir, à la hâte, de nouvelles. Et la ruée vers les ambassades ou plutôt vers les buffets des ambassades s'est poursuivie. Sauf que les mets ont été mis au goût «révolutionnaire»: on y trouve de la viande halal mais plus de saucisson ou de jambon de porc, comme jadis dans les réceptions de la maison du Bey à la Marsa ou celle perchée au sommet de Sidi Bou Said.

Le vin français ou le Brandy sont cependant toujours servis en quantité suffisante, même durant le mois de ramadan, qui plus est, en présence des pieux militants de la cause islamiste.

Imaginons, un instant, un 14 Juillet sans fromage et sans Bordeaux: ce serait une insulte à la laïcité française. Et c'est dans ce genre de détails que l'on découvre que l'État français ne fait pas de concession sur les principes de la révolution française.

Un «missile» français sur Gaza

En réalité, ce genre de concession, l'Etat français en fait de temps en temps, comme lorsque François Hollande exhorte son ami Benyamin Netanyahou, Premier ministre d'Israël, d'utiliser tous les moyens dont il dispose, jusqu'à l'invasion de Gaza, en recourant aux bombardiers et aux hélicos d'attaque, pour faire taire ce qui ressemble plutôt à des feux d'artifice qu'à ce qui est appelé pompeusement des «missiles».

Le résultat des conseils du locataire de l'Elysée, ce sont plus d'une centaine de tués et plus d'un millier de blessés parmi les civils palestiniens, sans parler des dégâts matériels.

La presse française était, il faut le dire, la première à épingler «cet alignement systématique sur les positions israéliennes», avant qu'un déluge de feu provenant des médias arabes, devenus assez puissants, n'oblige le président français à tenter de s'amender en téléphonant à Mahmoud Abbas pour appeler à «la cessation des violences». Trop peu, trop tard!

Décidément, le syndrome Marzouki semble avoir touché la France! Du «tartourisme» tout craché, se sont exclamés certains et qu'on ne nous dise plus qu'on n'exporte pas assez vers la France! Le «marzoukisme» est une pensée trans(e)-nationale.

Hollande en est désormais influencé. Alors quoi de plus normal que le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) appelle au boycott de la réception offerte par son excellence l'ambassadeur de France et son épouse à l'occasion du 14 Juillet, fête nationale française, à leur résidence à La Marsa?

Cette position courageuse, et qui commence à faire des émules parmi les partis politiques, est un message très fort de la société civile tunisienne à ceux qui prétendent toujours la soutenir.

Iftar-Ambassade-Etats-Unis-2014

L'ambassadeur des Etats-Unis mène la barque du... dialogue national.

Il est vrai que ce message aurait du être lancé avant le 4 Juillet, fête nationale des Etats-Unis, et aurait peut-être incité certains «pique-assiettes» à ne pas aller à Sidi Bou Saïd (et la dignité bordel!) au risque de se donner en spectacle autour d'un «iftar» très politique. Et dont le message est passé comme une lettre à la poste : «Nous, et nous seuls, les Américains, pouvons vous réconcilier et nous profitons de votre mois saint pour vous conseiller de choisir un candidat parmi ceux qui sont autour de la table de notre ambassadeur!» Ce n'est plus de la diplomatie, c'est de l'ingérence. Car, une fois affichées sur le mur «virtuel» de l'ambassade, les photos de l'«iftar» parlent d'elles mêmes. L'on sait désormais où va la Tunisie, du moins selon le scénario préparé par l'oncle Sam!

Les «traitres» seront démasqués

Parions que l'ambassade de France hésitera avant de publier les photos de ceux et celles qui auront honoré son 14 Juillet. Car les stars d'un «iftar» feront tous figure de «traîtres» à la cause palestinienne et ce n'est pas, on l'imagine, un atout pour la prochaine campagne électorale, surtout pour la magistrature suprême.

Cela dit, rassurez-vous, il y aura tous les «pique-assiettes» professionnels et tous les amoureux du fromage et du Bordeaux, sans parler des officiels du gouvernement, qui seront là, eux, en service commandé et, donc, par obligation professionnelle.
Les réceptions et les dîners des «cons» ou des «pions», comme certains se plaisent à les appeler, sont des rituels obligatoires pour toutes les missions diplomatiques à travers le monde. Les leaders d'opinion et les hommes politiques doivent normalement faire preuve de retenue avant d'accepter de s'y associer.

Ceci est valable pour ceux qui se respectent et respectent leur peuple et le drapeau de la nation. Mais pour des leaders «fabriqués» dans les laboratoires des think-tanks et les couloirs des chancelleries occidentales, il serait difficile de ne pas accourir à l'appel des nouveaux maîtres du monde.

Jusque-là, les choses se faisaient dans la discrétion et le secret des coulisses. Grâce à Facebook et aux téléphones mobiles, tout est mis à découvert. Mais quand on est un «pique-assiette» invétéré, on le reste à vie et on se paye le luxe même de s'afficher avec des conseillers militaires et autres agents dont la mission est «inavouable» mais connue de tous.

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