Non ce n'est pas un gag, c'est textuellement ce que l'ancien chef du gouvernement provisoire a prétendu dans un entretien au quotidien londonien ''Asharq Al-Awsat''.
Par Imed Bahri
Dans cette interview, Hamadi Jebali s'indigne et s'insurge contre ceux qui «prétendent» qu'Ennahdha n'a pas participé à la révolution. Ceux qui ont connu une seule nuit de prison, un seul mois ou n'ont pas connu les geôles de Ben Ali et qui prétendent qu'Ennahdha n'a pas participé à la «révolution» tentent de falsifier l'histoire et font preuve d'arrogance, estime-t-il, dans cette interview vraisemblablement arrangée par ses amis Saoudiens, et où il tente d'apparaître comme celui qui dirigeait la «révolution» dans la clandestinité.
L'ex-secrétaire général d'Ennahdha profite même de l'occasion pour lancer quelques flèches à Rached Ghannouchi, président du mouvement, réfugié à l'époque dans son exil doré londonien et qui ne «participait pas aux réunions des dirigeants clandestins.»
Jebali va même jusqu'à nommer Ali Larayedh, Zied Daoulatli et lui-même comme étant les vrais dirigeants qui résistaient à la dictature, omettant de rappeler que Daoulatli avait rencontré Ben Ali quelques jours avant la fuite de ce dernier, et qu'il avait adressé, lui-même, au nom de son mouvement, depuis la prison, une lettre à Ben Ali, pour chercher une solution politique. Suite à cette lettre, beaucoup de dirigeants d'Ennahdha ont d'ailleurs étés graciés.
L'artisan de la révolution
Le plus important dans cette interview est que Jebali prétend être l'artisan de la révolution qui, selon lui, a commencé en... 1975, au moment ou naissait le Mouvement de tendance islamique (MTI), l'ancêtre d'Ennahdha, et s'est poursuivie jusqu'à janvier 2011. Puisque, selon lui, des milliers de sympathisants islamistes furent envoyés en prison, torturés ou assassinés durant toute cette période (36 ans). Ce qui signifie que, pour Jebali, la révolution a commencé sous Bourguiba et, précisément, avec l'émergence de l'islamisme politique.
Voilà qui trahit encore l'approche qu'a ce leader d'Ennahdha de la nature de la révolution tunisienne. Si ce sont les assassinats, les tortures et la prison qui constituent des preuves de l'existence d'une révolution, pourquoi ne pas commencer avec le conflit Youssefistes-Bourguibistes, les procès des Baathiste, des Perspectivistes, des marxistes-léninistes, des syndicalistes, des Bensalhistes, et autres activistes, donc depuis 1956, les islamistes étant les derniers venus? Sauf si on veut réduire la «révolution» tunisienne à une marche forcée pour un 6e Califat.
Nous ne sommes donc pas là devant une simple opération de récupération de la révolution tunisienne mais une vision de ce qu'est la révolution pour un adepte des «Frères musulmans». C'est même une «âqida», un credo que les islamistes essayent de camoufler derrière un éclectisme digne des jésuites.
Quand Ghannouchi disait que la révolution était «sortie de sous les aisselles de Youssef Qaradhaoui», il ne faisait pas allusion au rôle joué par ce haut dirigeant des Frères musulmans dans le «printemps arabe», mais affirmait qu'il n'y a de révolution que celle dirigée par l'Organisation mondiale des Frères musulmans!
Le discours de Jebali, qui tente de s'accaparer le beau rôle, celui du véritable dirigeant de la révolution, et qu'il essaye de prouver, dans cette interview, avec forces détails, est adressé davantage aux Saoudiens qu'aux Qataris, les principaux bailleurs de fonds des mouvements islamistes dans le monde, dans une tentative de sauver le «bateau Ennahdha» qui risque de couler sous les coups de boutoir de ses adversaires, sachant que lui et Abdelfattah Mourou ont toujours constitué l'aile «saoudienne» du mouvement, Ghannouchi et les autres étant les protégés du Qatar.
Le sauveur d'Ennahdha
En quittant le bateau avant le naufrage, Jebali tente d'apparaître comme le sauveur d'un mouvement qui, selon lui, part à la dérive. Il essaye, encore une fois, de cacher les véritables raisons de son départ du gouvernement et de sa démission du poste de secrétaire général d'Ennahdha. Quant à ses tentatives d'expliquer cette «désertion» par des divergences sur «les méthodes de travail» avec les autres (qui?), elles sont ridicules et prouvent que les Nahdhaouis continuent de cultiver le secret et de mentir «pour la bonne cause».
Les différentes déclarations de Jebali sur ses intentions de se présenter à la présidentielle sous la bannière «indépendant» sont des menaces voilées, qui ont poussé Rached Ghannouchi à différer de plusieurs semaines la nomination de son remplaçant.
Ainsi, non seulement Ennahdha perd un dirigeant de premier plan qui a «la légitimité de la prison», mais ce parti perd son fief sahélien, ce qui n'est pas rien, sachant que Ghannouchi, Larayedh et Bhiri constituent le clan du sud.
Les mauvaises langues disent qu'un parmi ces trois s'est exclamé après la démission de Jebali: «Enfin le pouvoir n'est plus aux mains des Sahéliens»! Bhiri avait même déclaré sur une TV qu'il était temps que certaines régions (sans citer le Sahel) sachent qu'ils n'ont plus le monopole du pouvoir. On est tenté de lui demander: à quelle région ce monopole reviendrait-il donc aujourd'hui?
Ce qui est amusant en lisant les interviews de Jebali et ses «frères», c'est que quels que soient les tours de passe-passe auxquelles ils se livrent, ils finissent toujours, au détour d'une phrase, par se démasquer. C'est que l'inconscient leur joue parfois des tours comme, sa célèbre déclaration sur le 6e Califat, qu'il n'a jamais reniée d'ailleurs.
«La révolution qui a débuté en 1975»: voilà une trouvaille que beaucoup d'historiens vont envier à Jebali! Parions qu'il dira encore une fois que cette déclaration a été mal interprétée ou sortie de son contexte!
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