L'unité nationale contre le terrorisme, que la marche d'aujourd'hui était censée souligner, est difficile à trouver entre deux camps que sépare un profond fossé.
Reportage de Zohra Abid
Le fossé entre les démocrates progressistes et les islamistes du parti Ennahdha et leurs alliés est très profond et l'espoir de voir une réconciliation entre les 2 camps est vraiment ténu, malgré la bonne volonté affichée par les deux côtés.
Cette vérité a de nouveau éclaté lors de la marche contre le terrorisme organisée, aujourd'hui, samedi 19 juillet 2014, au centre-ville de Tunis, où les militants des deux camps n'ont pas pu marcher longtemps côte-à-côte et les clashs, inévitables, ont failli dégénérer en violence, notamment de la part des Nahdhaouis, «naturellement» portés sur l'usage de leurs muscles.
"Pour un front uni de toutes les forces civiles et démocratiques", dit la pancarte: plus facile à dire qu'à faire.
Beaucoup moins nombreux, ces derniers n'ont pas pu supporter d'entendre les slogans habituels hostiles à leur parti, du genre: «Ghannouchi Ya Saffah, Ya Qattal Al-Arwah» (Ghannouchi assassin !). Aussi, derrière le masque des loups déguisés en agneaux, le temps d'une marche convenue contre le terrorisme, les canines n'ont-ils pas tardé à apparaître. Commentaire d'un confrère: «Chassez le naturel, il revient au galop!»
Taïeb Baccouche et d'autres dirigeants de Nida Tounes ont pris part à la marche.
Parmi les leaders politiques qui ont répondu, aujourd'hui, à l'appel du Quartet du dialogue national pour une marche nationale contre le terrorisme, on citera Abdelkrim Harouni, ex-ministre du Transport, qui en a eu pour son grade, Fathi Ayadi, président du Conseil de la Choura d'Ennahdha, Taïeb Baccouche, secrétaire général de Nida Tounes, Kamel Morjane, ancien ministre des Affaires étrangères et actuel président du parti Al-Moubadara, qui a eu droit à quelques «Dégage» lancés par les militants du Front populaire, Mohamed Jegham, ancien ministre de la Défense et actuel président du parti El-Watan, Samir Ettaïeb, secrétaire général d'Al-Massar, Mohamed Hamdi, secrétaire général de l'Alliance démocratique, ainsi que Wided Bouchamaoui, présidente de l'Utica (centrale patronale), Houcine Abassi, secrétaire général de l'UGTT (centrale syndicale), Abdessattar Ben Moussa, président de la Ligue tunisienne ds droits de l'homme (LTDH) et de nombreuses autres figures de la société civile.
Les nerfs étaient à fleur de peau et la colère des manifestants contre Ennahdha difficile à contenir.
Hamma Hammami, porte-parole du Front populaire, habitué à ce genre d'action citoyenne, a brillé aujourd'hui par son absence. Selon son épouse, l'avocate et militante des droits de l'homme Radhia Nasraoui, il est souffrant et n'a pas pu sortir.
Brandis par les militants du Front populaire, les portraits des martyrs de la gauche Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, assassinés par des extrémistes religieux, n'ont pas été du goût des Nahdhaouis, qui n'ont pas manqué de le faire savoir, d'autant que la plupart des manifestants portaient spontanément leur colère sur les islamistes, et notamment leur leader Rached Ghannouchi et l'ancien ministre de l'Intérieur et ex-chef du gouvernement provisoire, Ali Larayedh, qualifiés de menteurs et d'assassins et accusés d'avoir laissé les réseaux terroristes essaimer dans le pays, et rendu ainsi service à des pays étrangers soucieux de faire avorter l'expérience démocratique tunisienne. Les pays en question, alliés et soutiens d'Ennahdha, ont été tapageusement dénoncés : le Qatar, la Turquie et, à un degré moindre, l'Arabie saoudite.
Dirigeants politiques et figures de la société civile au premier rang de la marche.
Les accusations étaient frontales et les mots tellement crus que les gardes du corps de Abdelkarim Harouni ont dû intervenir pour bousculer des manifestants qui proféraient des insultes en direction de ce dernier.
Des jeunes d'Ennahdha, jaillis de nulle part, ont attaqué des hommes et des femmes agitant les portraits de Belaïd et Brahmi, les cognant à la tête, avant de s'enfuir.
Les forces de l'ordre ont eu fort à faire pour contenir la tension et éviter les heurts entre des manifestants divisés en deux camps irréconciable et que même la crainte du terrorisme n'a pas réussi à rapprocher.
Plusieurs altercations, et pas seulement verbales, ont eu entre des manifestants des 2 camps et les agents de l'ordre, qui encadraient la marche, ont dû intervenir plus d'une fois pour séparer les «belligérants» et calmer les esprits échauffés.
Abdelkarim Harouni, las de subir les insultes de certains manifestants, a préféré battre en retraite et quitter la marche, qui n'a pas tardé à se disperser, vers 13 heures.
L'unité nationale et l'union sacrée contre le terrorisme, que la marche d'aujourd'hui était censée souligner, sont décidément difficiles à trouver entre deux camps que sépare un profond fossé idéologique et politique.
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