Après la dernière attaque terroriste du Jebel Chaambi, tout ce que les trois présidents nous ont promis c'est du sang et des larmes jusqu'aux élections! Mais après?
Par Imed Bahri
Unanimes, les trois présidents qui nous gouvernent ont martelé la même argumentation pour expliquer l'horrible carnage dont furent victimes nos soldats lors de la dernière «Leilat Badr», nuit sacrée du ramadan, coïncidant avec la soirée du mercredi 16 juillet 2014, à Henchir Ettalla, à Jebel Chaambi, gouvernorat de Kasserine: «Ils veulent nous empêcher d'élire nos députés et notre président», ont-ils martelé à l'unisson.
Des non-dits qui en disent long
Selon nos brillants analystes, les terroristes, qui ont massacré 15 de nos soldats et blessé grièvement 25 autres, en veulent au processus démocratique et cherchent à empêcher les élections de se dérouler!
Dans son adresse à la nation, dans la soirée du jeudi 17 juillet 2014, Moncef Marzouki, le président provisoire en poste depuis bientôt 3 ans, a tenté de court-circuiter le chef du gouvernement provisoire, Mehdi Jomaa, qui devait s'adresser lui aussi à la nation quelques minutes plus tard, en apparaissant comme le véritable défenseur de la patrie. Il a cependant omis, très opportunément (et très courageusement !), de désigner Ansar Charia ou Aqmi comme les vrais auteurs ou commanditaires de l'attaque terroriste, laissant ainsi planer le doute sur les vrais coupables.
Ce n'est sûrement pas un oubli mais une omission volontaire. Nous cache-t-il quelque chose? Soupçonne-t-il une partie qu'il n'ose pas ou ne peut pas nommer, et qui se cacherait derrière cette nébuleuse appelée Aqmi, Ansar Charia ou Katibat Okba Ibn Nafaa?
Depuis quelque temps, dans les communiqués officiels sur les attentats, on insiste sur la présence d'autres nationalités parmi les terroristes. Un «repenti» a même, dans une mauvaise mise en scène stalinienne diffusée par la télévision nationale, déclaré que ce sont «des Algériens» qui dirigent le maquis de Jebel Chaambi et que les terroristes tunisiens, «victimes d'une tromperie», ne sont que les victimes d'un embrigadement. On en conclut que les véritables ennemis, les cerveaux et les commanditaires des attentats ne sont pas des Tunisiens!
Qui cherche à enfoncer un coin entre Tunis et Alger dont les autorités sécuritaires et militaires coopèrent jusque-là étroitement dans la lutte contre les réseaux terroristes déployés dans les deux pays? Quelle est la partie ou quels sont les partis en Tunisie qui détestent ou redoutent l'Algérie? Mon petit doigt croit pouvoir aisément les désigner...
Obsèques officielles des 15 soldats tués au Jebel Chaambi, le soir du mercredi 16 juillet 2014.
L'ombre d'Abou Iyadh
A aucun moment, dans les discours des trois présidents, comme dans ceux du chef de l'état major des armées et du ministre de la Défense, le nom de Abou Iyadh, le chef d'Ansar Charia, en fuite en Libye, n'a été cité, ni d'ailleurs ceux des ses lieutenants. Il est vrai que, selon un mystérieux communiqué de l'agence officielle Tap, démenti en son temps par l'ambassade américaine, ce chef terroriste aurait été arrêté par les Américains, information jamais confirmée par cette même Tap qui renoue avec les anciennes méthode d'obstruction de l'information et redevient, ce qu'elle a toujours été sous la dictature, le porte-voix de «sources officieuses».
Selon l'information démentie, Abou Iyadh aurait été remplacé par un Algérien qui aurait juré, lui aussi, de multiplier les attentats contre le «taghout» (terme salafiste pour désigner les soldats et les forces de l'ordre) tunisien. Certaines sources ont également parlé de l'arrestation de cet Algérien par les milices du général libyen dissident Khalifa Hafter, information qui n'a pas encore été confirmée.
On nage donc en plein brouillard et même les «services» des pays amis restent curieusement muets! Tout ce que l'on sait, c'est que la Tunisie est actuellement dans l'œil du cyclone, comme nous l'avons déjà annoncé, il y a quelques semaines, dans Kapitalis.
Le «vacarme» médiatique, qui suit chaque attentat, gonflé par les soi-disant analyses d'une légion de pseudos-spécialistes du terrorisme, n'est pas pour aider à éclaircir le tableau sombre des forfaits commis par les terroristes. Mais le pire c'est quand les premiers responsables du pays tentent d'exploiter ces événements sanglants à des fins partisanes. Tout se passe comme s'ils sont pressés d'être reconduits dans leurs fonctions après des élections que beaucoup de citoyens ont déjà désavouées en refusant de s'inscrire sur les listes électorales, et ce n'est pas à cause des attentats terroristes, mais en raison de l'incompétence et de l'inefficacité de ces mêmes gouvernants dans la lutte contre le terrorisme.
Les doigts accusateurs de nos citoyens pointent l'Assemblée nationale constituante (ANC), qui a empêché pendant des mois la promulgation de la loi antiterroriste, considérée par certains députés comme «liberticide» et non prioritaire, selon les termes du président de l'ANC, Mustapha Ben Jaafar, soudain devenu un chantre des droits du... terroriste.
Ces doigts accusateurs prouvent que le peuple sait où est le mal! Le discours unanime des ténors d'Ennahdha et de ses partis satellites (Congrès pour la république, Wafa, Ettakatol, etc.) présentent les prochaines élections comme le remède miracle pour guérir le pays de tous les maux dont il souffre. En même temps, ils répètent à l'unisson que le terrorisme durera encore plusieurs années, tout en admettant que le chemin de la stabilité politique, de la paix sociale et de la prospérité économique passe par l'éradication du terrorisme.
Jusqu'à quand l'armée va-t-elle continuer à enterrer ses morts tués par les groupes terroristes?
La schizophrénie des démocrates
Cette incohérence est partagée par le camp des démocrates ou des anti-troïka, qui accuse Ennahdha d'avoir couvert et soutenu le terrorisme, tout en cautionnant le parti islamiste comme force démocratique et en acceptant de l'affronter dans des élections où seuls des partis démocratiques devraient normalement participer. Certains partis dits démocratiques et progressistes se disent même disposés à faire alliance avec les islamistes après les élections! On croit rêver! Cette schizophrénie est inhérente à la pensée de notre nouvelle classe politique qui n'est pas à une incohérence près, aveuglée qu'elle est par ses appétits du pouvoir... à tout prix.
Les trois présidents, l'armée et le ministère de l'Intérieur ont tous déclaré que d'autres attentats, peut-être plus sanglants, vont avoir lieu, donnant l'impression d'en avoir déjà été informés! Le ministre de l'Intérieur, quant à lui, a cru devoir exposer, le jour même où nos forces armées ont subi la plus lourde perte depuis leur fondation en 1956, selon le journal ''Le Monde'', les réussites des forces de l'ordre, qui auraient empêché plusieurs attentats visant des institutions souveraines «sensibles», alors que certaines informations, non confirmées officiellement jusqu'à l'écriture de cet article, parlent d'une tentative d'attentat ou d'attaque contre le président provisoire lui-même. Est ce pour cette raison que les unités spéciales de la présidence ont été mises, à partir d'hier, vendredi 18 juillet 2014, sous les ordres du commandement général de l'armée?
Tout cela n'est pas rassurant, loin s'en faut! Doit-on s'attendre à un Aïd et à un été sanglants et à des désordres jusqu'à la tenue des élections, à partir du 26 octobre prochain. Ne nous dit-on pas que l'objectif des attaques terroristes est d'empêcher ces scrutins de se dérouler ? Ce qui a poussé Marzouki et Jomaa à déclarer que les élections auront lieu coûte-que-coûte, même si les terroristes provoquaient un bain de sang. Marzouki a même lancé, sur un ton de défi, aux terroristes: «Non, vous ne pourrez pas nous mettre à genoux! Nous irons voter!». Traduire: «Non, vous ne pourrez pas empêcher mon élection!»
Des questions sans réponses
N'est ce pas ce même Marzouki qui, aux pieds du Jebel Chaambi, il y a quelques semaines, a donné l'ordre de transformer cette zone en «parc d'attractions» (sic !)? Ne riez pas, cela fait plutôt pleurer. Un vrai chef des armées aurait démissionné pour avoir commis cette seule bourde! C'est d'un ridicule qui tue, sans jeu de mot déplacé, puisque la conséquence de cette incompétence a été le massacre de «Leilat Badr».
Entre 40 et 60 terroristes lourdement armés de fusils mitrailleurs Kalachnikov, de grenades et de lance-roquettes RPG antichars ont attaqué, simultanément et dans un même lieu, le Jebel Chaambi, pourtant décrété zone militaire fermée, deux campements où des soldats rompaient paisiblement le jeûne, comme s'ils n'étaient pas en guerre.
Une source nous a confirmé que quelques jeunes recrues tuées soir-là ce venaient à peine de finir leur formation à la caserne de Monastir et n'avaient aucune expérience du combat. Mais le plus grave dans cette affaire, c'est qu'une «petite armée» de 40 à 60 terroristes avec armes et munitions a pu traverser notre frontière ouest, tuer des soldats, et disparaitre dans la nature, ne perdant qu'un seul homme! Où sont-t-ils passés? Ont-ils réellement traversé et retraversé la frontière dans l'un et l'autre sens sans être repérés? Cela fait des mois que cette frontière est surveillée par notre armée et son homologue algérienne, qui y a placé plus de 8000 de ses soldats, comment expliquer alors cette intrusion massive de terroristes sans que nos systèmes de surveillance ne soient en mesure de les détecter?
Il est très possible que nos policiers et militaires connaissent déjà la réponse, car notre police et notre armée avaient, pendant les longues années de la guerre civile algérienne, empêché toute infiltration de ces mêmes terroristes dans les territoires tunisiens, mais ces policiers et ces militaires se taisent car les dirigeants politiques à la tête de l'Etat ont décidé de ne pas dire toute la vérité aux citoyens électeurs pour des fins électoralistes.
Jusqu'à quand va continuer cette triste tragi-comédie?
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