Ennahdha est passé maître dans l'art de la diversion. Il en administre la énième preuve avec cette invention de la présidence de la république consensuelle.
Par Moncef Dhambri
Il s'agit là, on l'a compris, d'un subterfuge nahdhaoui, qui consiste à désigner une personnalité politique nationale qui réunirait autour d'elle le soutien le plus large et serait, du coup, au-dessus de la mêlée, aurait le mérite pour le mouvement islamiste de braquer l'attention des adversaires et des alliés des «islamo-démocrates» sur cette fonction présidentielle devenue quasiment inessentielle dans un système parlementaire qui est désormais le nôtre.
Dans le même temps, les Nahdhaouis auront tout le loisir de s'occuper de l'essentiel et du décisif, c'est-à-dire du pouvoir législatif, là où les lois du pays se font et là où, également, les chefs de gouvernement sont choisis et les équipes gouvernementales formées.
Ennahdha et la concorde nationale
Ce qui pourrait donner l'illusion d'une généreuse main tendue par Ennahdha à tous les autres partis a une nouvelle fois été remise sur le tapis par Cheikh Rached Ghannouchi.
Lors d'une conférence de presse, mardi 15 juillet, le gourou de Montplaisir a réaffirmé que la proposition de présidence de la république consensuelle tenait toujours et que les consultations sur cette offre islamiste se poursuivaient encore. Le président d'Ennahdha a expliqué que l'initiative n'avait nul autre souci que «de renforcer la transition démocratique dans notre pays».
Selon Rached Ghannouchi, le mouvement islamiste n'a toujours pas arrêté son choix définitif sur la personnalité politique la plus consensuelle pour occuper la fonction de président de la république. Il a, en des termes chiffrés, traduit les bonnes intentions de cette offre nahdhaouie: «Nous ne souhaitons pas que le prochain président de la république soit élu avec 51% des suffrages exprimés et qu'il se trouve, dès le lendemain de la prise de ses fonctions au Palais de Carthage, confronté à une opposition de 49%. N'oublions pas que notre démocratie est une démocratie naissante et, par voie de conséquence, le système pour lequel nous avons opté aurait tout intérêt à se soumettre à la logique de l'entente nationale».
Ali Larayedh, le nouveau secrétaire général d'Ennahdha, qui a lui aussi pris la parole lors de cette rencontre avec les médias, a étayé cette recherche nahdhaouie de la concorde nationale: «Nous avons établi de nombreux contacts avec les partis politiques, les organisations nationales et des personnalités nationales – toutes tendances confondues. Jusqu'ici, nous avons pu discuter de cette initiative avec 27 formations politiques. Ce qui ressort de ce premier round de prises de contact, c'est que cette idée (de présidence consensuelle, NDLR) bénéficie, d'une manière générale, d'un soutien certain auprès de la majorité des interlocuteurs».
Pour plus d'une raison, Ennahdha maintiendra la pression et tentera encore et encore de forcer la main des autres partis politiques sur cette question de présidence consensuelle. Tout simplement, le parti islamiste trouve plus que son compte dans cette initiative.
Un deuxième président fantoche
Pour l'essentiel, l'idée peut faire illusion auprès d'une certaine opinion publique qu'Ennahdha œuvre sincèrement, c'est-à-dire sans aucun calcul ni arrière-pensée, pour l'intérêt suprême du pays. Le choix d'une figure nationale consensuelle pour un mandat présidentiel ferait même faire à la Tunisie d'importantes économies. Par ces temps de crise, notre pays épargnerait plusieurs millions de dinars qu'il aurait à dépenser (en campagne électorale, en organisation du scrutin présidentiel et autres procédures) si l'initiative nahdhaouie n'était pas acceptée.
La gratitude du prochain locataire du Palais de Carthage serait l'autre dividende important qu'Ennahdha pourrait récolter, si son idée était approuvée: un président consensuel, ainsi élu selon la formule nahdhaouie, serait reconnaissant tout au long de son mandat à ceux qui lui ont ouvert les portes du petit pouvoir présidentiel et n'oserait jamais contrarier les projets et actions de ses bienfaiteurs islamistes.
Le pays aura, donc, son deuxième président fantoche, avec de très petits pouvoirs exécutifs, quelques prérogatives beaucoup plus formelles que réelles et autres figurations. Le parti islamiste, lui, s'occupera du reste, c'est-à-dire qu'il se consacrera entièrement au véritable travail de la direction des affaires du pays.
Et ces grosses œuvres se dérouleront au Palais du Bardo. Au parlement, Ennahdha trouvera les arguments pour convaincre quelques «partis égarés» et pour former des alliances, il s'adjurera la fonction de chef de gouvernement, constituera une équipe gouvernementale et distribuera quelques strapontins ministériels à ceux qui ont accepté de le suivre...
Bref, les stratèges de Montplaisir n'ont pas perdu leur temps, depuis le départ forcé d'Ali Larayedh du Palais de la Kasbah. Leur repli stratégique leur aurait servi à préparer un retour en force... et cette fois-ci pour un mandat de 5 longues années, en bonne et due forme.
{flike}