Rassemblement, hier soir, devant l'Assemblée au Bardo, à la mémoire de Mohamed Brahmi, assassiné un an plus tôt. Et pour dénoncer Ennahdha et le terrorisme.
Par Yüsra N. M'hiri
Des centaines de personnes se sont rassemblées, dans la nuit du jeudi 24 juillet 2014, devant le siège de l'Assemblée nationale constituante (ANC), pour commémorer le 1er anniversaire du meurtre du député Mohamed Brahmi, assassiné le 25 juillet 2013, jour de célébration de la Fête de la République, devant chez lui, au quartier El-Ghazela, au nord de Tunis, par des extrémistes religieux affiliés à l'organisation terroriste Ansar Charia.
Ces extrémistes venus de nulle part
Sur la scène montée à cette occasion, des artistes et des musiciens se sont succédé, interprétant des chansons patriotiques et déclamant des poèmes de circonstance.
La troupe El Bahth-El-Musiqi a interprété plusieurs chansons relatant les sacrifices du peuple et les combats historiques de la gauche tunisienne.
Ils sont venus pour saluer la mémoire de Brahmi, dire non au terrorisme et... à Ennahdha.
Le chanteur Lotfi Bouchnak, dont la présence était pour le moins inattendue, a tenu à prendre part à la célébration en déclamant des poèmes où la ferveur patriotique se double d'une reconnaissance des sacrifices des martyrs.
L'ambiance rappelait celle qui avait régné, l'année dernière à la même période, lors du sit-in Errahil, qui a permis de bouter le parti islamiste Ennahdha hors du gouvernement.
Les manifestants, qui ont scandé des slogans contre le terrorisme, n'ont pas omis de s'en prendre aussi à Ennahdha, considéré comme responsable des assassinats politiques et des attentats terroristes. Ils ont également appelé à traduire en justice les dirigeants de la Troïka, l'ancienne coalition gouvernementale, pour n'avoir pas su protéger la Tunisie et les Tunisiens et entretenu des relations de connivence avec les extrémistes religieux.
Hamma-Hammami: «Nous devons être unis pour combattre le terrorisme».
Basma Khalfaoui, épouse de feu Chokri Belaïd, autre leader de la gauche assassiné le 6 février 2013, lui aussi devant chez lui et par des extrémistes religieux, est venu soutenir le combat de Mbarka Brahmi, cette femme debout malgré la douleur et qui ne mâche pas ses mots pour accuser frontalement Ennahdha.
«Ces extrémistes, venus de je ne sais où, ont tué mon mari. Ils ne savent pas qu'une femme qui perd l'homme qu'elle aime finit par dépasser la douleur et s'engager elle aussi dans son sillage. El-Hadj m'a laissé un héritage précieux: l'amour de la patrie et le combat pour la liberté», a-t-elle confié.
«Chaambi, Gaza, même combat»
Dans la foule, des drapeaux tunisiens se mêlaient à ceux de la Palestine, une pensée pour la tragédie de Gaza sous les bombardements israéliens. Des Palestiniens, qui ont tenu à s'associer à la manifestation, criaient : «Chaambi et Gaza, même combat»; «Les terroristes à la solde des sionistes»; ou encore «Brahmi dans nos cœurs».
Mbarka Brahmi, blessée, mais courageuse, lumineuse, entourée, admirée...
Faut-il le rappeler, à cet égard, que Mohamed Brahmi, qui était nassérien et nationaliste arabe, a été, sa vie durant, un très actif défenseur de la cause palestinienne?
Des dirigeants de divers partis étaient présents, notamment les députés Salma Baccar et Fadhel Moussa (Al-Massar), Said Aidi (Nida Tounes), Ahmed Seddik, Mongi Rahoui, Mourad Amdouni, Zouhaier Hamdi et Hamma Hammami (Front populaire), l'épouse de ce dernier, Radhia Nasraoui, avocate et militante pour les droits de l'Homme, mais aussi Houcine Abassi, secrétaire général de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), pour ne citer que quelques uns.
Les dirigeants du Front Populaire ont prononcé des allocutions à la mémoire de leur camarade et appelé les Tunisiens à faire front contre toutes les menaces. «Nous devons être unis pour combattre le terrorisme, qui n'a pas sa place dans notre pays. Nous œuvrons pour la paix et la liberté. Ces lâches qui tuent ont été encouragés par le laxisme d'Ennahdha et de la Troïka, qui n'ont cessé de minimiser nos avertissements à ce sujet», a lancé Hamma Hammami.
Les discours étaient coupés par les manifestants qui criaient: «Ghannouchi assassin»... Ce qui a causé une certaine gêne à Houcine Abassi, qui, pour calmer les esprits échauffés contre Ennahdha, a cru devoir appeler à l'union nationale pour réussir la transition démocratique.
«Souriez, vos ennemis n'aiment pas ça»
Mbarka Brahmi a clôturé la soirée. Le poing levé, elle a appelé les Tunisiens à ne pas avoir peur. «Les terroristes sont des canailles; ils ne nous font pas peur et nous les vaincrons», a-t-elle lancé.
Houcine Abassi appelle à l'union nationale pour faire réussir la transition démocratique.
«La vérité sur l'assassinat de mon époux ainsi que sur celui de Chokri Belaid sera un jour dévoilée, même si nous savons tous qu'Ennahdha a tout commandité. Je rappelle que la CIA a alerté les autorités tunisiennes du plan d'assassinat de Hadj Mohamed... S'ils l'avaient vraiment voulu, ils l'auraient protégé, mais que peut-on attendre d'un parti dont les dirigeants et partisans appellent au djihad en Syrie et encouragent nos enfants à servir de chair à canon», a ajouté Mbarka avec sa verve habituelle que la douleur du souvenir semble avoir ravivée.
Après son habituel pamphlet anti-Ennahdha, Mme Brahmi a appelé les Tunisiens à la solidarité et à la vigilance, tout en les invitant à ne pas sombrer dans la douleur mais à la transformer en une force et une volonté de vivre, de chanter et de sourire. «Souriez, vos ennemis n'aiment pas ça», a-t-elle conclu.
Les manifestants ont longuement applaudi et les dirigeants politiques ont réservé un standing ovation à cette femme qui continue le combat de son époux comme pour le faire vivre encore. Et toujours.
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