Les Tunisiens ont repris hier matin leur boulot. Il y a même des embouteillages dans les rues de la capitale qui semblent reprendre vie. Mais dans l’artère principale, il y a une manif de quelques centaines de manifestants… Parmi eux, quelques barbus… Zohra Abid
Alors que la Tunisie enterre ses morts, panse ses blessés et tente de se relever de son cauchemar, et que l’ordre commence à se rétablir, une manifestation pacifique défile dans la grande avenue à 10h30. Une manifestation qui n’a rien à voir avec celles des jours précédents. Celle d’aujourd’hui semble porter les couleurs des islamistes. Du côté de l’Horloge dans la grande place, la police et l’armée font barrage.
Les hélicoptères sillonnent le ciel. Pas de bombe de lacrymogène, ni de violence et tout se déroule pacifiquement. Du côté des cafés, les clients observent la scène sans brancher. «C’est la liberté d’opinion et c’est normal. Après tout, ils sont chez eux et ont droit de s’exprimer. Mais comme vous voyez, personne ne les suivra quoiqu’ils fassent…», raconte tranquillement Marwa, une enseignante.
A ses côtés, ses collègues profitent un peu de leur congé forcé, du soleil et parlent politique. Oui politique! Vous imaginez? On parle aujourd’hui, en Tunisie, de la politique à haute voix! Cafés, salons de thé, restos et gargotiers ne désemplissent pas et tous les Tunisiens parlent… Oui parlent librement sans avoir peur de la défunte milice de Ben Ali et sa horde qui a occupé la rue et les cafés, 23 ans durant.
Que les barbus ne profitent pas du vide
Les manifestants continuent leur route. Direction: La Kasbah. Les slogans ne sont plus contre le Rcd. Mais contre le gouvernement actuel. Ils veulent le départ des derniers symboles de Ben Ali. Ils disent que tant qu’ils sont là, le fantôme de Ben Ali est toujours là.
Côté manifestation: on se disperse, un peu, puis on revient… La foule se disloque vers le coup de midi. Puis reprend. Pas d’écho encore! Les gens de Tunis se promènent à leur aise sur les trottoirs. Ils regardent, ils se regardent. Ils parlent et critiquent. Les uns pour la sécurité et demain, le jour des élections, sera un autre jour. Les autres méditent. Avec le vide politique, ils ne savent pas où se tourner.
«L’ancien parti au pouvoir de Ben Ali qui n’a d’ailleurs jamais eu d’autorisation, n’a plus de place. Les extrémistes, toutes tendances, non plus! On ne veut pas d’eux», dit un restaurateur de la place. A la rue du Caire, tous les commerces sont ouverts. «Enfin, on respire. Le ‘‘omda’’ du parti ne vient plus nous demander de lui passer des sous au quotidien. De ce côté, nous sommes soulagés! Maintenant, il nous faut de la volonté pour construire et se construire», réplique Maher, un gérant d’un débit de tabac. Maher, le diplômé de l’Institut supérieur de gestion (Isg), dit qu’il est l’une des victimes de l’ancien système.
La propriétaire d’un commerce à la rue de Marseille semble, elle aussi, soulagée. «Ma première réaction, c’est de casser le portait du despote que j’ai accroché, contrainte, le jour de l’ouverture de mon commerce», raconte Samia à son voisin avocat, venu pour un kg de steak de dinde.
Un soupçon de parfum libre
La vitrine de magasin de volaille ne manque de rien. Devant la boutique, il n’y a même pas de file d’attente. Tout comme la boulangerie d’à côté. La parfumerie, en face, brille. Comme toujours et il y a même des client(e)s. Tous tiennent le même discours… «Liberté, dignité et sécurité». On ne parle que de ça (enfin presque!). On raconte aussi des palais, des armes et du pillage du dictateur.
Nous rebroussons chemin. En face du Palmarium (un complexe commercial), il y a foule. Une foule spectatrice… et pas plus! La foule passe et crie encore sa colère. Il y a même des papas avec leurs enfants. «Ils sont fous! Regardez cette gamine de six ans qui crie, l’autre, l’autre,… c’est pire! Une petite de trois ou quatre ans sur les épaules de son père. Elle est voilée. Quelle honte… Non, ce mouvement va être étouffé dans l’œuf. Ils sont out. C’est terminé pour eux…», dit à son collègue, un ingénieur d’une trentaine d’années. Trois ou quatre hélicoptères continuent leur sillage, les engins de la police clignotent en état d’alerte, mais ne bougent pas. Les autres engins de l’armée et les soldats en barda contrôlent toutes les issues. La foule s’est évaporée, pacifiquement vers 13heures… à l’avenue! Car, un autre mouvement est à la place su gouvernement à la Kasbah. Des slogans contre le nouveau gouvernement. «Ils n’ont pas encore compris. On ne veut pas de ceux qui connaissent le diable de très près, l’ont soutenu et aujourd’hui veulent se la jouer aux mains propres. Les masques sont tombés ! C’est fini», au téléphone un jeune à haute voix.
Les Tunisiens hument le parfum de la liberté qui commence à les chatouiller l’esprit et s’attendent à une scène pareille tous les jours, à la même heure et toujours aux mêmes endroits. «En attendant la mise en place d’un gouvernement à l’image des intelligents». Les gens expriment à haute voix leurs idées. Mais là où il y a une autre grosse colère, c’est autour des maisons de presse. Impossible de la contenir… Les journalistes haussent le ton et aiment imposer les règles d’une presse libre. Pour le moment, ils disent qu’il y a encore des «clous rouillés dans leur rédaction et qui ont une emprise sur les jeunes rédacteurs».