Une prolongation de vingt jours permettra-t-elle aux registres des inscriptions électorales de faire le plein et d'éviter une forte abstention aux prochaines élections?
Par Marwan Chahla
L'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) se trouve, ces jours-ci, engagée dans une véritable course contre la montre qu'elle aurait le plus grand mal de remporter. Elle ne pourrait faire que légèrement mieux que celle qui a été dirigée par Kamel Jendoubi et qui a offert à la Tunisie, le 23 octobre 2011, les premières élections libres et indépendantes de son histoire.
L'Isie de Chafik Sarsar peine à convaincre les électeurs timides ou indifférents de se prendre par la main pour porter leurs noms sur les registres électoraux et de s'engager ainsi à se rendre aux urnes, en octobre et novembre prochains, pour élire leurs députés et leur président de la république.
7.897.000 électeurs potentiels
En fin de parcours, seulement un petit million pourrait séparer le chiffre réalisé par Isie-1 et celui que Isie-2 pourrait atteindre. Et tout l'enthousiasme, optimisme et bonne volonté de la nouvelle Instance n'y pourront rien changer. Il semblerait que, même avec les prolongations répétées de l'opération d'enregistrement sur les listes électorales, une partie importante des électeurs potentiels continueront à bouder l'opération électorale, pour de nombreuses raisons.
Selon les dernières estimations de l'Institut national de la statistique (INS), le nombre de citoyens tunisiens résidant à l'intérieur du pays a atteint les 10,8 millions, dont environ 70% seront en âge de voter, c'est-à-dire 18 ans et plus, lors des prochains scrutins législatifs et présidentiel. «Le nombre des électeurs potentiels s'élèvera à 7.897.000», a déclaré, lundi 4 août 2014, le directeur du département des statistiques démographiques et sociales de l'INS, Lotfi Lahrizi, au micro de la chaîne Watania1.
L'Isie-2 ne perd pas courage et continue de positiver en insistant sur «la moitié pleine du verre», à savoir sur le fait que des électeurs nouveaux se sont inscrits sur les listes électorales et qu'ils viennent donc s'ajouter à ceux déjà inscrits sur les anciennes listes des élections d'octobre 2011.
Pour Nabil Bafoun, membre d'Isie-2, il y aurait tout lieu d'être satisfait du nombre des inscriptions atteint: «Avec les 5.125.000 électeurs en âge de voter déjà inscrits, nous pouvons dire que nous sommes dans les normes internationales, cela représente entre 65 et 70% du nombre des électeurs potentiels. C'est un chiffre acceptable», insiste-t-il.
Un autre sursis d'une vingtaine de jours, à partir d'aujourd'hui 5 août, permettra-t-il aux registres des inscriptions électorales de faire le plein et de donner aux consultations d'octobre et novembre prochains le sens entier qu'elles méritent?
Le risque d'une forte abstention
L'observation «à l'œil nu» ne donnerait pas raison à l'optimisme de l'Isie de Chafik Sarsar et l'abstention risque d'être bien plus qu'une simple source de nuisance.
Tout d'abord, il n'est pas sûr que les électeurs qui ont voté le 23 octobre 2011 se décident une nouvelle fois de se rendre aux bureaux de vote pour «accomplir leur devoir national». Et il y aurait plusieurs raisons à cela: la pratique politique telle qu'elle s'est déroulée pendant plus de trois années depuis la fuite de Ben Ali est loin, très loin, d'avoir donné satisfaction.
La classe politique (les gouvernements Troïka 1 et 2, les constituants, la majorité des dirigeants des nombreux partis et les élites, d'une manière générale) n'ont pas convaincu.
La révolution n'a pas répondu aux attentes de ceux qui l'ont faite. Beaucoup d'énergie a été dépensée à sauver ce qui pouvait être sauvé des fondamentaux du 14 janvier 2011 et il resterait peu de motivation pour la poursuite de l'effort de construction...
Le contexte actuel (le terrorisme bel et bien installé dans notre pays, la situation économique de plus en plus critique, la guerre civile en Libye qui déborde chaque jour encore plus chez nous, etc.) ne facilite pas les choses.
Tout cet essoufflement et les autres désenchantements pourraient très probablement pousser à revoir à la baisse les chiffres de l'Isie-2. Il est clair qu'une inscription sur le registre électoral n'est pas automatiquement synonyme de bulletin (dûment rempli!) glissé dans l'urne.
En définitive, quelques centaines de milliers, sinon plus, pourraient céder au découragement et à la désillusion et décider de rester chez eux le jour du vote. Ceci s'appelle «abstention», et l'abstention est l'expression d'un désaveu. Elle est vote-sanction.
Ce que nous écrivons ici, reconnaissons-le, est une spéculation qui n'a aucune prétention scientifique... La responsabilité incombe, donc, à l'Isie-2 et à tous les acteurs politiques de faire mentir ces analyses.
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