J’ai du me pincer plusieurs fois en regardant le journal télévisé de ces derniers jours sur la chaîne nationale. Est-ce possible? Faut-il y croire? Et si c’était un nouveau piège?


Ce monsieur qui d’habitude nous présentait le journal régional de 18h30, se contentant de lire des rapports rédigés par les autorités régionales sur le développement réalisé grâce à la politique clairvoyante de l’artisan du changement… Ce monsieur nous parle désormais de manifestations pacifiques dans tous les gouvernorats du pays et des citoyens qui réclament la destitution du Rcd et la démission de ses membres du gouvernement.

Une police devenue pacifiste
Et j’ai du me pincer encore plusieurs fois quand, sur l’avenue Habib Bourguiba, j’ai vu des citoyens manifestant pacifiquement devant des policiers qui les regardaient et qui, je l’espère, ont bien compris une fois pour toute qu’une manifestation sur l’Avenue n’est ni dangereuse pour la sûreté des citoyens, ni une menace pour la stabilité du régime, contrairement à ce qu’on leur a expliqué avant.
Oui, c’est bien la révolution. Oui Ben Ali et sa mafia ont bel et bien quitté le pays s’ils n’ont pas été arrêtés. Oui nous sommes désormais libres de nous exprimer librement dans les journaux et sur les plateaux de nos chaînes télévisés. Oui en voyageant hors du pays, nous serons fiers d’annoncer que nous sommes tunisiens.
Non, ce n’est pas un rêve. Mais attention, la mutation, pour ne plus utiliser le mot changement, ne fait que commencer.

Une transition délicate
En Tunisie, ce qui se passera durant les prochains mois pèsera très lourd sur la situation du pays les prochaines décennies. Une phase de transition qui requiert la mobilisation de toutes les forces vives du pays pour préserver la révolution du peuple.
Le régime Ben Ali gouvernait le pays avec une main de fer. Il se basait sur  plusieurs structures, et surtout sur un appareil sécuritaire dont la taille et les moyens alloués sont disproportionnés par rapport aux besoins de maintien de l’ordre dans un pays désormais démocratique à la taille de la Tunisie.
Que faire alors aujourd’hui de cet appareil avec ses différentes composantes (garde présidentielle, agents de sécurité, police politique, sûreté universitaire…)? Le maintenir? Pour quoi faire? En dissoudre quelques structures: ce qui laissera libre dans la nature des éléments bien entrainés qui connaissent les rouages du pays mieux que quiconque. Que faire alors?

Rétablir la stabilité politique
Le régime Ben Ali comptait aussi sur le Rcd, qui exerçait un réel pouvoir politique dans les différentes régions. Ramener cet appareil de l’Etat à un simple parti politique, nous ramera à en finir définitivement avec le régime de parti unique digne des pays les plus sous-développés. Mais avec des partis d’opposition laminés par l’ancienne dictature et qui manquent de moyens et d’expérience, la disparition de ce parti laissera la place politique quasi-vide. Alors que le pays à besoin rapidement d’une vie politique active qui reflétera les besoins de démocratie et de liberté voulu par la révolution.
Une période de stabilité politique est donc nécessaire pour laisser le temps à tous les intervenants de se réorganiser et de gagner une place auprès des électeurs tunisiens qui, deux décennies durant, ne se sont pas intéressés à la politique. Ces intervenants pouvaient-ils obtenir cette stabilité alors que la grogne sociale se fait écouter chaque jour un peu plus?

Des investissements bloqués par la méfiance
Economiquement, la paralysie du pays durant ces deux dernières semaines,  conjuguée au saccage de nombreuses unités industrielles, pèsera lourdement sur le taux de croissance. En établissant un climat politique propice à la stabilité, la croissance reprendra rapidement et plus que prévu, grâce à de nouveaux investissements. Ces investissements, qui étaient bloqués par la méfiance des hommes d’affaires craignant la voracité de la mafia des Ben Ali, Trabelsi et consorts.
En dépit d’une atmosphère caractérisée par un mélange d’espoir et d’incertitude, je continue de me poser cette question: vivons-nous dans un pays développé? La vue, aujourd’hui, à la télé, de policiers manifestant pour l’amélioration de leur situation, m’a convaincu qu’on est sur la bonne voie. Juste qu’il faut aller rapidement et prudemment.

Samir Messali