C'est un vrai massacre à la tronçonneuse qui se déroule actuellement dans les principaux partis politiques, particulièrement les plus grands d'entre eux, Ennahdha et à Nida Tounes.
Par Imed Bahri
A tout seigneur tout honneur, les chefs d'Ennahdha et de Nida Tounes règlent leurs comptes et profitent de l'approche des législatives, prévues pour le 26 octobre 2014, pour mettre de l'ordre dans leurs formations respectives en éliminant les têtes trop dures et qui leur font de la résistance.
Purges au sein d'Ennahdha et de Nida Tounes
Première grande victime de cette purge, Hamadi Jebali, ex-Premier ministre du gouvernement de la Troïka, l'ancienne coalition gouvernementale, qui a été éliminé de la course aux législatives puisqu'il ne figure semble-t-il pas sur la liste d'Ennahdha à Sousse. Il paye ainsi les frais de sa «rébellion» contre Rached Ghannouchi, qui n'a jamais digéré le bras de fer qu'il lui a imposé lors de la grande crise de février-mars 2013, après l'assassinat de Chokri Belaid, lorsqu'il a voulu constituer un gouvernement de «technocrates».
Ali Larayedh a-t-il pris définitivement la place de Hamadi Jebali dans la galaxie de Rached Ghannouchi?
Après avoir fait passer la tempête, Ghannouchi a repris et mis à exécution par la suite le même scénario mais en poussant son initiateur vers la porte de sortie. Même si Jebali, qui a démissionné du secrétariat général du parti islamiste et a été remplacé par son successeur au Premier ministère Ali Larayedh, reste encore officiellement membre d'Ennahdha.
Deuxième grande victime de cette «purge» en douceur et toujours à Sousse, Taieb Baccouche, secrétaire général de Nida Tounes, qui a été d'abord malmené en ne récoltant que deux voix lors des «primaires». Le moins que l'on puisse dire est que Béji Caid Essebsi ne l'a pas beaucoup aidé.
Nommé comme tête de liste, Baccouche s'est vu poussé à l'abandon par les barons locaux qui préfèrent mettre l'un de leurs fidèles, probablement l'actuel président de l'Étoile sportive du Sahel, Ridha Charfeddine. Caïd Essebsi n'aurait pas pardonné à Baccouche d'avoir exigé, en menaçant de démissionner, la mise à l'écart de son fils, Hafedh, de la direction des structures du parti, ainsi que d'autres positions politiques.
Cette absence annoncée des deux figures nationales des listes des deux principaux partis à Sousse profitera, on l'imagine aux partis de Kamel Morjane (Al-Moubadara) et de Hamed Karoui (Mouvement Destourien)! Les Rcdistes pourront donc ainsi faire le plein au Sahel et ce ne sera pas une surprise.
A Tunis, l'islamiste «soft» Souad Abderrahim est carrément mise à la retraite anticipée, remplacée par un «beldi» (Tunisois) lui aussi «soft», Abdelfettah Mourou, vieux compagnon de route de Ghannouchi et théoriquement numéro 2 d'Ennahdha. L'avocat au grand bagou est mis en avant pour redorer l'image du parti, gravement ternie par son passage au gouvernement. On vise aussi à amadouer un électorat tunisois qui semble plutôt attiré par les figures modérées.
Quant à la présence annoncée de Ali Larayedh à la tête de la liste Tunis 1, tout en visant un électorat sudiste très présent dans la capitale, elle semble confirmer que le clan du sud a définitivement pris le pouvoir au sein d'Ennahdha et que Larayedh se prépare à revenir au gouvernement au cas où les résultats donneraient une majorité à son parti.
Salma Rekik et Béji Caïd Essebsi.
Du côté de Nida Tounes, Tunis semble être l'objet d'une âpre bataille entre l'homme d'affaires Faouzi Elloumi – dont la sœur, Salma Elloumi Rekik, qui tient la bourse de Nida Tounes, se présentera à Nabeul – et Hafedh Caïd Essebsi, le fils du président de Nida Tounes et peut-être du futur président de la République. On a nommé un comité de «sages» pour arbitrer le conflit, mais on sait déjà pour qui les «sages» vont pencher.
Tunis sera aussi la ville où Nejib Chebbi et Mustapha Ben Jaâfar, leaders respectifs d'Al-Jomhouri et d'Ettakatol, vont se présenter comme têtes de listes, et où ce qui reste de leurs partis n'opposera aucune résistance.
Avec toutes ces têtes de listes, dont la plupart sont des Tunisois ou, du moins du côté de leurs mères, les «beldis» seront largement représentés.
Top tard, les places sont prises!
Du côté de Ben Arous, une autre victime des luttes intestines au sein de Nida Tounes, Khemaies Ksila, qui a été remplacé par son «pire» ami Lazhar Akremi, parachuté tête de liste dans ce gouvernorat à population ouvrière et où les réseaux Rcdistes sont très efficaces.
Ksila ne pourra pas se présenter comme tête de liste à Nabeul, son gouvernorat d'origine, puisque l'évocation de son nom a provoqué un tollé général au profit d'une non-nabeulienne, Selma Elloumi Rekik, très proche de Caïd Essebsi. Ksila, qui avait été élu sur les listes d'Ettakatol avant de rentrer en dissidence contre Ben Jaâfar et de cofonder Nida Tounes, va-t-il devoir choisir un autre parti? Top tard, les places sont prises!
C'est à Sfax, cependant, que la tronçonneuse a «coupé la tête» d'un des grands dirigeants nahdhaouis. Il s'agit de Habib Ellouze, figure emblématique du salafisme et grand ami du chef terroriste Abou Iyadh depuis leur séjour commun en prison. Ce n'est certainement pas pour des raisons électoralistes que ce gourou de l'islamisme radical a été écarté. Dans sa nouvelle stratégie, Ennahdha cherche à présenter un visage plus consensuel et plus avenant.
Rached Ghannouchi veut écarter d'Ennahdha les dirigeants devenus infréquentables en raison de leur discours authentiquement islamiste, prouvant que ce parti est un pur produit «Frères musulmans» et que, finalement, rien ne le distingue d'Ansar Charia. Sadok Chourou a été écarté, lui aussi, de la liste de Médenine pour la même raison! Cette mise à l'écart a pu toutefois être décidée en concertation avec les deux concernés qui se consacreront au prosélytisme («al-daawa»), c'est à dire la propagande.
Ennahdha s'est aperçu qu'une bonne partie de ses députés n'ont pas le niveau nécessaire pour figurer à l'Assemblée et sont contre-productifs et peuvent êtres sanctionnés lors des prochains scrutins. Il s'est donc empressé de les écarter. En raison de la discipline de ses membres, il est difficile de les voir contester la décision du Guide suprême.
Ce qui n'est pas le cas de Nida Tounes, dont les mécontents risquent de rejoindre les partis concurrents, destouriens ou de gauche, et jouer de mauvais tours à leur parti.
Les effets de cette grogne qui gagne les différents partis se manifesteront à travers la constitution de listes indépendantes. Il n'y a évidemment aucune chance pour que ces listes envoient des députés à l'Assemblée, mais elles pourront laminer dangereusement les scores des listes partisanes.
Les règlements de compte font partie de la vie politique mais on peut se demander jusqu'où ils peuvent aller et quel est leur coût pour le pays et pour les partis?
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