L'ex-président du parti islamiste Ennahdha parle à l'armée nationale... dans le dos de son état-major. Ne devrait-on pas le poursuivre pour tentative de putsch militaire?
Par Imed Bahri
Ce n'est pas une accusation, c'est lui même qui l'avoue! Dans une lettre ouverte adressée à l'armée nationale postée le 3 août 2014 sur sa page Facebook, Sadok Chourou, ex-président d'Ennahdha, membre de l'Assemblée nationale constituante (ANC), élu sur les listes de son parti pour le gouvernorat de Ben Arous, exhorte l'armée (ou ce qu'il considère comme «les révolutionnaires» en son sein) à continuer la «révolution».
L'armée instigatrice des attentats terroristes!?
«La révolution de la liberté et de la dignité n'est pas encore terminée. Aujourd'hui, elle a plus que jamais besoin de vous. Barricadez-vous dans ses forteresses et repoussez les ruses fourbes de ses ennemis pour qu'elle ne soient pas prises (les forteresses de la révolution, NDLR) par derrière», écrit-il.
Après avoir divisé l'armée entre les «enfants des démunis» et les autres, suppôts de Ben Ali et de la gauche éradicatrice – division qu'il aurait constaté, selon lui, lorsqu'il enseignait la chimie à l'Académie militaire dans les années soixante-dix –, il appelle ces «enfants des démunis» à faire barrage aux suppôts de l'ancien régime, qui sont encore présents, dit-il, dans la hiérarchie militaire et qui, toujours selon lui, ont ourdi plusieurs complots dont notamment les... attaques terroristes de Jebel Chaambi visant à affaiblir l'armée pour renverser le régime issu des élections du 23 octobre 2011.
Mais le plus dangereux ce sont les menaces que lance M. Chourou, qui met en garde les officiers de l'armée contre «les infiltrés contre-révolutionnaires qui voudraient réaliser leurs objectifs» (lesquels?). Il écrit: «Le peuple (lire Ennahdha et ses troupes, NDLR) ne restera pas spectateur si quelques infiltrés dans vos rangs arrivent à réaliser leurs objectifs.»
Rappelons que cette lettre a été postée juste après la démission de l'ex-chef d'état major de l'armée de terre, le général de brigade Mohamed Salah El-Hamdi, et les questions que cette démission a posées.
Tout porte à croire que cette lettre appelle des officiers et des soldats à réagir à la nomination d'un nouveau chef d'état major qui ne plairait pas à Sadok Chourou et à son parti!
Le terrible silence des responsables politiques
Ce qui est encore plus inquiétant, c'est qu'Ennahdha n'a pas désavoué cette lettre «ouverte» adressée par l'un de ses ex-présidents, l'une de ses actuelles figures de proue et l'un de ses représentants les plus connus et les plus controversés de l'ANC.
Pire encore : on n'a enregistré aucune réaction de la part des partis politiques dits «modernistes» à cette ingérence flagrante dans les affaires de l'armée! Le porte-parole du ministère de la Défense a fait comme si cette «lettre ouverte» n'a jamais été écrite et publiée! Un silence qui en dit long sur la torpeur dans laquelle est plongée toute la classe dite politique, plongée dans des micmacs électoralistes de basse facture.
Pourtant, Sadok Chourou n'est pas n'importe qui! Chimiste de son état, il est arrivé à encadrer les officiers de l'Académie militaire où il avait un rapport direct avec les officiers supérieurs de l'armée, tout en étant président du mouvement Ennahdha entre octobre 1988 et mars 1991, date à laquelle il fût arrêté et condamné par le tribunal militaire pour complot contre la sûreté de l'Etat, ainsi que d'autres dirigeants du mouvement. Il était, en fait, le numéro un du parti clandestin et fût mêlé à toutes les actions violentes attribuées aux islamistes.
M. Chourou est un vrai idéologue, quoique sa formation en sciences humaines laisse à désirer, mais c'est un authentique salafiste qui ne craint pas d'affirmer ses convictions, comme lorsqu'il a désavoué publiquement la nouvelle constitution et appelé du haut de la tribune du Bardo à couper les mains et les pieds des opposants, en application d'un verset coranique qu'il a interprété à la manière de Saied Qotb et de l'actuel Calife de Da'ich en Irak.
Ce que dit Chourou tout haut, la majorité des militants d'Ennahdha le pense tout bas. C'est une icône du mouvement islamiste et il serait pernicieux de le présenter comme un «marginal». Car il exprime en fait la vraie stratégie du parti «Frères musulmans» tunisiens.
L'on sait, d'autre part, que Rached Ghannouchi, le président d'Ennahdha, l'a écarté, ainsi que son alter-égo de Sfax, le député Habib Ellouze, des listes du parti pour les prochaines législatives car leurs déclarations ont toujours suscité l'indignation chez les modernistes, alors que le parti islamiste tente de montrer patte blanche et de se rapprocher le plus possible de ses ennemis d'hier!
Une révolution d'essence islamiste voire salafiste!?
Le fait que Chourou déclare se consacrer à la «daawa» (prosélytisme) signifie qu'un partage des rôles est en train de s'opérer au sein de la galaxie islamiste. Et c'est sa conception de la «daawa» qu'il illustre à travers cette «lettre ouverte à l'armée». Elle se précise encore dans une autre lettre qu'il a adressée cette fois-ci aux jeunes.
Dans ce nouveau texte, M. Chourou précise sa conception de la révolution. Elle est, selon lui, semblable à celle opérée par le prophète à l'aube de l'islam, bien que la révolution tunisienne ait été menée, au départ, avec des slogans évoquant de sujets bassement matériels comme les salaires et l'emploi! Le pseudo-théologien se livre alors à une gymnastique intellectuelle d'un ridicule accablant, qui trahit sa méconnaissance totale de l'action du prophète de l'islam, action qu'il a probablement découvert à travers la littérature dite «de prison» de Saied Qotb, l'idéologue des Frères musulmans égyptiens, ou à travers quelques écrits de propagande.
M. Chourou parle de la «révolution de la vérité» («al-haqq») contre le mensonge («al-batil»), sacrifiant à un manichéisme primaire!
Pour lui la révolution était d'essence islamiste voire salafiste et le restera. Le rôle de l'armée est, justement, selon lui, de la parachever et c'est pour cela qu'il lui a adressé sa fameuse lettre ouverte. Le problème, car problème il y a, c'est qu'il risque d'embrigader beaucoup de jeunes adeptes, et ce jour-là ça sera trop tard!
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