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Il n'y a pas longtemps, les adversaires de Nida Tounes accusaient le parti de Caïd Essebsi d'être «une machine à recycler les anciens du RCD». Avaient-ils tort?

Par Imed Bahri

«Vitrine» et «machine» sont bien les mots utilisés par les fondateurs de Nida Tounes pour désigner, pour le premier, les figures de gauche et les syndicalistes, et pour le second, les Rcdistes et autres Destouriens.

Une vitrine soigneusement aménagée

La stratégie de Béji Caid Essebsi (BCE), exprimée publiquement à maintes reprises lors des premières consultations avec les différentes parties, était de mettre en avant, en les nommant à des postes de direction, les dirigeants de gauche, les militants pour la laïcité, les syndicalistes, les féministes et les indépendants.

Ces derniers étaient envoyés au charbon sur les plateaux de télévision, sur les ondes des radios et à la une des journaux, pour annoncer la création d'un grand parti politique moderniste et pour attaquer sur tous les fronts Ennahdha et la Troïka (la coalition que le parti islamiste avait formée avec le CpR et Ettakatol).

BCE avait aussi clairement demandé aux Rcdistes et aux Destouriens de se mettre en arrière-plan, sachant qu'à l'époque, on était encore en grande effervescence «révolutionnaire» et la diabolisation des partisans de l'ancien régime battait son plein. Seuls quelques destouriens notoires étaient désignés au bureau exécutif et au comité central. Pour marquer le coup et prendre rendez-vous avec l'Histoire...

Ainsi la vitrine fût soigneusement aménagée et en réponse à ceux qui accusaient Nida Tounes d'être «une machine à recycler les anciens membres du RCD», on pouvait nier jusqu'à l'existence de ces derniers dans les structures du parti de BCE.

Il faut dire aussi qu'à l'époque, les Rcdistes ne se bousculaient pas encore aux portes de Nida Tounes, où il y avait encore des voix qui les vilipendaient à tout bout de champ.

Nida-Tounes-Ksila-Elloumi-Belhaj-Ali-et-Lazhar-Chebbi-Karoui

De gauche à droite: Khemaies Ksila, Faouzi Elloumi, Mondher Belhaj Ali et Lazhar Chebbi Karoui: jusqu'à quand continueront-ils de chanter d'une même voix.

Les Destouriens et Rcdistes en embuscade

C'est lors de la bataille politique pour faire tomber le projet de la loi pour «la protection de la révolution», à laquelle ont participé toutes les forces démocratiques, et après l'échec patent de la Troïka et les deux assassinats de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi, que les Destouriens ont pris d'assaut Nida Tounes, non pas pour figurer dans ses instances dirigeantes mais pour occuper tous les bureaux régionaux et locaux, avec l'aide du fils de BCE, Hafedh Caid Essebsi, qui s'est déclaré chef de file de la mouvance destourienne du parti.

La «machine» rcdiste s'est donc mise en branle et une guerre des courants s'en est suivie qui a failli aboutir au départ de certains membres fondateurs comme Ridha Belhaj et Taieb Baccouche.

Comme on devait s'y attendre, cette lutte intestine fût remportée par les Destouriens, qui étaient présents dans les régions et les zones les plus reculés, alors que l'autre obédience trouvait beaucoup de mal à être présente et à recruter dans ces mêmes «zones».

Cette lutte préfigurait déjà celle des investitures où une âpre bataille a opposé les deux tendances, se traduisant par des dissidences et des démissions de bureaux locaux entiers et de graves divergences au niveau des bureaux régionaux, sans parler de la désertion de certaines figures nationales, intellectuelles ou autres, qui ont abandonné le parti (et la partie) en pleine bataille pour la préparation des listes électorales.

Beji-Caid-Essebsi-et-Mohamed-Ennaceur

Mohamed Ennaceur et Béji Caïd Essebsi: Les Destouriens tiennent les rênes.

BCE, l'arbitre suprême

Les cas de Abdelaziz Mzoughi et de Olfa Youssef ne sont que des symptômes d'un malaise beaucoup plus grand. Les cultures de «gauche» et «rcdiste» n'arrivent pas à produire une synthèse et l'absence d'une véritable tradition démocratique n'a guère arrangé les choses, puisque tout dépend de l'arbitrage «suprême» du président du parti, qui, comme chacun sait, n'a pas le coeur à gauche.

Ce sont les différents arbitrages de BCE, notamment en faveur de son fils pour chapeauter les structures de Nida Tounes, et pour conduire la liste du parti aux législatives dans la circonscription de Tunis 1, qui ont provoqué cette vague de «démissions» allant jusqu'à l'accusation de népotisme. Et on n'est encore qu'au début, car la grande épreuve aura lieu le jour du scrutin lorsque les «mécontents» essayeront de prendre leur revanche en appelant à voter contre les candidats officiels et surtout les têtes de listes ou, peut-être, en constituant des listes rivales.

Cette situation, que certains s'évertuent à présenter comme une crise de croissance somme toute normale, était en réalité inscrite dans «les gênes» de Nida Tounes. On ne rassemble pas l'essence à brûler et le feu sans courir le risque de voir se déclarer un incendie.

Nida Tounes a rassemblé des courants historiquement «ennemis» et qui héritent de traditions et de cultures politiques très différentes. Le parti s'est formé sur la base d'une opposition à Ennahdha et pour renverser le rapport de force politique et il y a largement réussi en quelques mois. Mais après? Car il y a un après...

Le point fort de ce parti, c'est la présence à sa tête d'un vieux routier de la politique se réclamant d'un bourguibisme pur et dur et qui s'est montré très coriace et maîtrisant le jeu politique. Son point faible est aussi BCE. D'abord son âge, presque octogénaire, d'une santé très fragile et surtout de culture bourguibienne, donc forcément anti-démocratique face à qui conteste ses décisions. «Quand c'est moi qui gouverne, je suis le seul à décider», avait-il répondu aux journalistes le jour même de son investiture au poste de Premier ministre, alors que le pays était à feu et à sang! On peut dire qu'il a toujours tenu parole sur ce point et ne semble pas prêt à changer.

La nomination des têtes des listes de Nida Tounes pour les prochaines législatives, prévues pour le 26 octobre 2014, a obéi à une logique que seul BCE connaît et qui n'a rien avoir avec tout ce qui se dit ça et là. Cette logique vise à mettre en place une assemblée qui rompe radicalement avec celle actuellement en place.

Affaire à suivre!

Illustration: De gauche à droite, Abdelaziz Qotti, Taieb Baccouche, Khemaies Ksila, Faouzi Elloumi, Abdelaziz Mzoughi et Ridha Belhaj: "Nous nous sommes tant aimés".

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