Les-Destouriens-Banniere

Ce n'est pas une mauvaise nouvelle pour Ennahdha et ses alliés : les Destouriens, dont on annonçait le grand retour, sont en train de s'étriper dans une guerre fratricide sans pitié.

Par Imed Bahri

A l'approche de la date fatidique des élections législatives et présidentielle, une guerre totale de tous contre tous fait rage chez les Rcdistes. Celle qui oppose Béji Caïd Essebsi (BCE) à Faouzi Elloumi n'est que la partie apparente de l'iceberg, car, soyons claire, elle met face-à-face deux clans, au départ unis contre l'adversité, d'un côté, les Destouriens qui étaient à la base de la fondation de Nida Tounes, et de l'autre, les gauchistes qui avaient mis leur sort entre les mains de BCE, avant que cette alliance ne tourne au vinaigre.

Bisbilles à Nida Tounes

Le point commun entre ces conflits parfois violents c'est la tentative des protagonistes de se positionner dans le nouvel échiquier politique après les prochaines élections, convaincus tous que les Rcdistes seront de retour aux affaires. C'est, en tout cas, ce qu'affirment BCE, Hamed Karoui, Kamel Morjane et bien d'autres. D'autant que l'idée d'un gouvernement d'union nationale a depuis fait son chemin et même Moncef Marzouki, président provisoire de la république et président d'honneur du Congrès pour la république (CpR), un allié notoire d'Ennahdha, a fini par y adhérer.

En fait, les principaux bailleurs de fonds de notre pays et les grands décideurs de ce bas-monde l'ont ainsi voulu. Dès lors, l'enjeu pour les Destouriens, toutes catégories confondues, n'est plus uniquement de gagner une partie des sièges à la prochaine assemblée, mais de savoir quelles parties y seront représentées.

Une guerre à l'échelle nationale, régionale et locale est donc déclenchée pour l'investiture des partis. Les chefs, souvent soucieux d'imposer leurs choix, se sont vus, cette fois-ci, imposer une résistance farouche allant parfois jusqu'aux démissions et des menaces de scission. Tous les noms d'oiseaux sont mêmes utilisés pour discréditer l'adversaire et l'on va même jusqu'à publier des «dossiers compromettants» les uns sur les autres.

Les réseaux sociaux, notamment Facebook, sont les lieux privilégiés pour attaquer les heureux candidats désignés chefs des listes et les clans qui les soutiennent. On a poussé le cynisme jusqu'à utiliser le livre commis par Leila Trabelsi, épouse Ben Ali, pour «griller» un candidat de Nida Tounes dans une région du nord-est. Son crime: il a été choisi par la direction de son parti comme tête de liste aux prochaines législatives.

L'affaire des deux voitures blindées offertes par les Emirats arabes unis (EAU) pour assurer la protection de BCE a été une aubaine pour les adversaires du vieux leader, et même à l'intérieur de son parti.

Lors d'une réunion de Nida Tounes, l'un des exclus des listes est allé jusqu'à comparer Hafedh Caïd Essebsi, choisi comme tête de liste de la circonscription de Tunis1, à Sakher El-Matri, gendre de l'ex-président Ben Ali, accusant ainsi son père, BCE, de népotisme. Ce dernier a même failli en venir aux mains avec le militant en question en lui ordonnant de quitter la salle. Ce à quoi l'insolent aurait répliqué (nous traduisons): «On n'est pas ici dans la maison de ton père!», s'agissant, en effet, d'une salle d'hôtel.

Du mouvement chez les Destouriens

Du côté du Mouvement destourien présidé par l'ancien Premier ministre Hamed Karoui, il y a eu la démission de Iadh El-Ouederni, ancien chef de cabinet de Ben Ali, qui tente, avec Iadh Elloumi, autre «tête brûlée» destourienne, de constituer des listes à part pour les législatives avec le soutien, semble-t-il, de Mohamed Ghariani, conseiller de BCE, qu'on dit sur le départ de Nida Tounes.

Pour ne rien arranger, deux poids lourds se disputent l'investiture du mouvement pour la présidentielle, Abderrahim Zouari et Mondher Zenaidi, encore en exil malgré la levée de son interdiction de voyage. Bien que le mouvement ait tranché en faveur du premier, le second ne semble pas désarmer, puisque un éditorialiste du quotidien ''Al-Chourouk'' l'a présenté, récemment, comme le futur «sauveur» de la Tunisie, sans parler de l'offensive de ses partisans sur la toile pour préparer son grand retour. Pourtant, une source généralement bien informée assure que de nouvelles affaires risquent d'entraver ce come-back annoncé.

Pour le Mouvement destourien, cependant, tout n'est pas négatif, puisqu'il profite pleinement, en ce moment, de la crise qui sévit au sein de Nida Tounes, en attirant vers lui une partie des mécontents et des dissidents. On va même jusqu'à prétendre que Faouzi Elloumi, membre («gelé») du bureau exécutif du Nida Tounes, pourrait diriger une liste destourienne commune dans la circonscription de Tunis1 qu'il considère, à tort ou à raison, comme son fief.

Dans les régions tels que Médenine, Kasserine, Sfax, Sidi Bouzid, Gafsa, le Kef et Jendouba, où Nida Tounes a imposé d'anciens membres du RCD, certains mécontents vont rejoindre ou travailler pour la formation de Hamed Karoui, les autres pour le Front populaire.

La pêche aux hommes d'affaires

Quant au parti de Kamel Morjane, Al-Moubadara Al-Doustouria (L'Initiative), son fief historique, la région du Sahel, risque de lui échapper, en raison de la concurrence que lui livrent Nida Tounes et le Mouvement destourien, sans parler des autres régions où des sections entières sont en train de démissionner pour contester des têtes de listes «parachutés».

Alors qu'il y a seulement deux semaines, Kamel Morjane annonçait en grande pompe «l'unification» autour de lui de 10 partis destouriens, voilà que le président de l'un de ces partis, l'homme d'affaires Ayachi Ajroudi, propriétaire de la chaîne Al-Janoubia TV, annonce sa candidature à la présidentielle et lance un pied au nez au président de l'Initiative, lui-même candidat.

Les longues discussions en coulisse entre partis destouriens pour préparer des listes communes n'aboutissent pas en raison de l'obstination des uns et des autres à imposer leurs candidats. Mais la guerre ne s'arrête pas aux listes, elle s'étend à la pêche aux hommes d'affaires.

Ainsi le clan Mhamed Driss à Sousse, historiquement allié à Hamed Karoui, a finalement lâché ce dernier au profit de BCE, avant que l'un de ses membres, Moez Driss, ne se rétracte, après la nomination de Ridha Charfeddine, l'actuel président de l'Etoile sportive du Sahel, à la tête de la liste de Nida Tounes à Sousse, pour, semble-t-il, rejoindre Ennahdha, le camp ennemi en somme, alors que Zohra Driss continue, elle, de soutenir Nida Tounes. Simple partage des rôles au sein d'un même clan en raison du brouillard politique épais qui couvre le ciel tunisien? On est autorisé à le penser...

A Sfax, l'homme d'affaires Moncef Sellami, bailleur de fonds du Club sportif sfaxien (CSS) et ennemi juré de Faouzi Elloumi, l'homme d'affaires patron du journal ''Al-Maghreb'', est mis sur la sellette par d'autres richissimes sfaxiens qui risquent de rejoindre la concurrence.

L'on sait, en effet, que le capital n'a pas d'amis durables. Il n'a que des alliés temporaires et même très temporaires. Les Destouriens, qui en savent quelque chose, l'ont appris, cette fois, à leurs dépens. Mais que faire quand l'argent est le nerf de la guerre? On peut aller, dans certains partis, jusqu'à offrir sur un plateau la tête d'une liste dans une grande circonscription. C'est le cas du patron de Syphax Airlines, un ex-Rcdiste notoire, passé avec armes et bagages, sans jeu de mot aucun, au service du parti islamiste Ennahdha.

La guerre entre Destouriens était inévitable car les tentatives d'unification ont toutes échoué. L'histoire a prouvé que le Destour n'a jamais été uni que par la force de persuasion d'un chef charismatique ou autoritaire. Ce fut le cas, successivement, de Bourguiba et de Ben Ali. Ces deux profils n'existent plus, ou les temps ont changé. Et même BCE, qui a essayé de faire son Bourguiba, a lamentablement échoué. Il faut trouver autre chose, mais en est-on vraiment capable? Et si on passait le témoin?

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