Malgré les déclarations officielles rejetant toute ingérence étrangère en Libye, la Tunisie est bel et bien impliquée dans la gestion de l'affaire libyenne. Elle en subira les contrecoups...
Par Imed Bahri
Il ne s'agit pour le moment que d'enlisement politique, le militaire étant encore loin fort heureusement.
Le voyage effectué, le 24 août 2014, par Rached Ghannouchi à Alger pour rencontrer le président algérien, garde toujours ses mystères, malgré la déclaration du leader d'Ennahdha sur une «concordance des points de vue» pour «s'opposer à toute ingérence étrangère» en Libye.
L'ingérence «ghannouchienne»
Venant de Ghannouchi, cet euphémisme fait plier de rire. Il y a quelques semaines, le chef islamiste tunisien se vantait d'agir auprès de ses «frères» libyens pour les aider à trouver une solution politique. Or tout le monde sait que «ses» Frères musulmans de Libye ont été éjectés démocratiquement par le peuple libyen hors du pouvoir législatif et donc du gouvernement. En réaction, ils ont décidé de mettre le pays à feu et à sang et de réduire en cendres l'aéroport international de Tripoli pour en déloger les milices de la tribu de Zintane qui le contrôlaient depuis la chute du régime de Kadhafi, faisant au passage quelques centaines de morts et des milliers de blessés sans parler des énormes dégâts matériels.
Les rapports de Ghannouchi avec les composantes de l'islam politique en Libye, notamment avec le sulfureux Abdelhakim Belhaj – qui entretient des relations ambiguës avec le groupe terroriste Ansar Charia –, sont très connus et son ingérence dans les affaires libyennes, à travers notamment l'ex-ambassadeur de la Tunisie en Libye, est fort connue et surtout par nos amis algériens. C'est donc, on l'imagine, pour ces bonnes raisons que Ghannouchi fût «invité» à discuter du problème libyen avec le président Bouteflika.
Hasard du calendrier ou message direct du pouvoir algérien : à peine Ghannouchi a-t-il quitté le sol algérien que son «frère» politique, Abdelaziz Belkhadem, ministre d'Etat conseiller du président et pur représentant de l'islam politique, mais surtout grand allié de Bouteflika, fut foudroyé par une disgrâce qui l'a démis de toutes ses fonctions au sein de l'État et du FLN. C'est donc la fin de la sacro-sainte alliance entre le leader algérien et les islamistes.
Bouteflika reçoit Ghannouchi la veille du limogeage de Belkhadem et de la rupture avec les islamistes!
Ghannouchi a-t-il été mis au courant et ainsi «neutralisé» par les Algériens? Toujours est-il que le motif officiel du voyage était la situation en Libye. Ce pays vient de faire l'objet d'une réunion du conseil de sécurité de l'ONU, qui a mis à jour sa décision d'y intervenir militairement, après qu'une réunion au Caire d'une sous-commission politique présidée par l'Egypte ait donné une couverture régionale à une intervention militaire contre tous ceux qui ne reconnaissent pas le nouveau parlement élu, que boycottent justement les «Frères» de Ghannouchi et ses amis, en tentant de l'abattre par les armes.
Rappelons que l'Algérie préside la sous-commission sécurité qui a tenu récemment ses travaux en Algérie, et que la Tunisie préside l'ensemble de la commission de l'Union africaine des pays du voisinage de la Libye depuis sa création au dernier sommet de Malibu en Guinée équatoriale.
Se ranger du côté du droit
En d'autres termes, notre pays se trouve embarqué, à l'insu de son plein gré, dans la résolution politique du conflit libyen alors que ses responsables jurent leurs dieux qu'ils sont contre «toute ingérence» dans les affaires intérieures libyennes! Trêve d'hypocrisie, d'autant que, depuis sa désignation, le nouveau président du parlement libyen ne fait qu'appeler au secours les pays «frères» et «amis», pour qu'ils interviennent militairement et soutiennent la nouvelle légalité d'où sont exclus les terroristes et les formations violentes de l'islam politique.
La Tunisie a un devoir d'aider à remettre sur pied l'Etat libyen qu'elle a contribué à détruire lorsque des quantités phénoménales d'armes ainsi que des troupes ont transité par certains de ses aéroports avec la connivence d'hommes politiques que l'histoire jugera.
S'il n'est pas encore temps de faire tout le sale déballage, osons, au moins, sans prendre parti dans les conflits militaires qui déchirent la Tripolitaine, nous ranger du côté du droit, c'est-à-dire du côté du nouveau parlement élu et désormais internationalement reconnu.
La Tunisie s'est toujours rangée du côté de la légalité internationale même quand celle-ci était injuste. Pour une fois qu'elle est juste, osons prendre nos responsabilités.
Quant au président provisoire de la république, Moncef Marzouki, il a déjà fait assez de dégâts dans ce dossier et le mieux serait qu'il laisse faire les professionnels de la diplomatie, un art qu'il est loin de maîtriser. De toute façon, vu la tournure que prennent les choses, il vaut mieux pour lui qu'il se tienne à carreau. D'ailleurs, c'est avec Ghannouchi, son mentor, que Bouteflika a choisi de discuter de ce dossier ultra-sensible, lui lançant ainsi un nouvel affront.
Quant au gouvernement Mehdi Jomaa et à son ministre des Affaires étrangères, Mongi Hamdi, même s'ils marchent sur des œufs, ils s'en sortent, pour l'instant, plutôt bien.
La France, qui a ouvert la boite de Pandore du terrorisme en Libye, s'en inquiète aujourd'hui sérieusement. Très touchant...
La responsabilité de la France
La déclaration du président français François Hollande sur la situation chaotique en Libye et les dangers qu'elle fait peser sur la Tunisie sonnent comme un aveu d'échec de la politique française à l'égard de ce pays.
Jean-Pierre Chevènement, ex-dirigeant socialiste et ex-ministre de la Défense de François Mitterrand, durant la seconde guerre du Golfe, et qui avait démissionné parce qu'il était contre la guerre en Irak, a déclaré récemment que c'est la France qui a détruit la Libye. Et c'est un secret de Polichinelle: cette France a poussé sa haine et son cynisme jusqu'à faire assassiner par ses agents le colonel Kadhafi pour le faire taire à jamais et pour qu'il ne puisse pas révéler la vérité sur le bakchich dont avaient longtemps bénéficié des hommes politiques français. Cette France-là n'a plus de leçons à donner en matière de droits de l'Homme et de souveraineté des peuples.
L'Etat islamique (Daêch) et Al-Qaida sont désormais bien implantés sur les rives sud de la Méditerranée, donc aux frontières sud de l'Europe, en raison de l'incompétence et de l'aveuglement des dirigeants européens.
La Tunisie, elle, se défendra comme elle l'a toujours fait, mais que les Européens sachent qu'elle n'acceptera pas de s'enliser dans le bourbier libyen... à leur place. Ce sont nos soldats qui meurent parce que les Européens, et les Français en tête, ont ouvert la boite de Pandore et envoyé leur inénarrable BHL (où est passé celui-là?) avec des milliers de tonnes d'armes pour semer la terreur et la destruction au sud de la Méditerranée.
L'Histoire ne pardonne pas aux imbéciles et aux perdants. Et les Européens ont déjà perdu leur «guerre du pétrole» en Libye, malgré les contrats signés à la hâte avec les fantoches qu'ils ont maladroitement soutenus.
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