Et si Abdellatif Mekki et Mongi Hamdi, par leurs déclarations, balisaient le terrain pour la candidature de Mehdi Jomaa à... la présidence de la république.
Par Imed Bahri
Comme Monsieur Jourdain avec la poésie, Mehdi Jomaa et son équipe technocrate font de la politique sans le savoir. Pour un supposé «technocrate», Mongi Hamdi, ministre des Affaires étrangères, est en train de recentrer la diplomatie tunisienne, ce qui est en soi un acte hautement politique et prépare le terrain à une éventuelle candidature de l'actuel chef du gouvernement, Mehdi Jomaa, à la magistrature suprême.
Mongi Hamdi sait «vendre» son patron (ici avec le président Ali Bongo à l’avenue Habib Bourguiba à Tunis).
Un destin national
En effet, dans une interview fleuve à un quotidien de la place, publié lundi 8 septembre 2014, où il explique et explicite les nouvelles orientations de la politique étrangère de la Tunisie, le chef de notre diplomatie déclare, en réponse à une question sur une éventuelle candidature de Jomaa à la présidence de la république: «Impossible qu'il le fasse de son plein gré. Je connais très bien l'homme. Mais il assume toujours sa responsabilité!».
En langage politiquement cru, cette phrase signifierait à peu près ceci: «Oui il se présentera si on l'y oblige», ou mieux : «Il se présentera si on le supplie de le faire», car «c'est un homme qui assume toujours ses responsabilités jusqu'au bout.» Au bout? Quel bout?
A une autre question à propos du souhait exprimé par certains partis politiques (notamment Ennahdha) et certaines composantes de la société civile (les chefs d'entreprises) de voir Jomaa rester au gouvernement, la réponse est presque téléphonée et le message subliminal: «On me pose souvent la question sur l'avenir de Mehdi Jomaa et chaque fois je réponds que le premier soucis du chef du gouvernement c'est de terminer sa mission conformément à la feuille de route du Quartet, mais je sais que Mehdi Jomaa donne la priorité à l'intérêt supérieur de la nation quels que soient les sacrifices personnels qu'il serait amené à faire!» Traduction: «Je suis sûr que Mehdi Jomaa se sacrifiera pour le pays et acceptera la mission qu'on lui proposera pour servir l'intérêt national!».
Pour un technocrate, on ne peut pas dire que Mongi Hamdi manie la langue de bois et respecte le devoir de réserve cher aux diplomates. Sans parler des fleurs qu'il jette à son patron tout au long de l'interview, comme lorsqu'il a déclaré solennellement que Mehdi Jomaa est un «grand leader» Voilà que la messe est dite! Un «grand leader», n'est-ce pas ce qui manque le plus maintenant à la Tunisie?
La stratégie du non
Mongi Hamdi devient moins crédible lorsqu'il affirme n'avoir pas lu l'entretien de son patron avec l'agence Tap où ce dernier déclare qu'il n'est pas prêt à assumer une deuxième fois la charge du chef du gouvernement. Mais, à bien y penser, Mehdi Jomaa n'a-t-il pas voulu dire par là: «La présidence ou rien!», un poste plus honorifique et moins éreintant que celui de chef de gouvernement. Pourquoi pas, puisque même l'inénarrable Moncef Marzouki, grand gaffeur devant l'Eternel, l'a «occupé» (comme on occupe un territoire étranger, illégalement ou par effraction) pendant 3 interminables années avec seulement 7.000 voix, et sans avoir jamais dirigé auparavant la moindre municipalité d'un petit village rural?!
Morale de l'histoire : malgré les dénégations de M. Jomaa, la déclaration de Abdellatif Mekki, dirigeant d'Ennahdha, affirmant que son parti soutiendrait la candidature du chef du gouvernement à la présidence du gouvernement et les allusions plus qu'évidentes du ministre des Affaires étrangères au «destin national» de son patron, nous autorisent à nous demander s'il n'y a pas quelque chose qui se trame en ce sens.
Une question également se pose à ce propos : et si le «non» de Jomaa était justement une manière de tâter le terrain, d'autant que le programme économique présenté par son équipe à la conférence «Investir en Tunisie: Start-up démocratie», lundi 8 septembre 2014 à Gammarth, n'est pas celui d'un gouvernement qui s'apprête à partir dans deux mois!
Un «non» qui veut dire «retenez-moi», cela ne vous rappelle rien?
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