Naït-Liman, opposant tunisien exilé en suisse depuis 1995, était très ému à la sortie de l’aéroport, où il n’a rencontré aucune difficulté à finaliser les formalités douanières et sécuritaires.
«Je suis très fier de ce qu’a entrepris le peuple tunisien», a-t-il déclaré à son arrivée. «Les Tunisiens nous ont fait honneur et j’espère qu’ils poursuivront leur lutte pour la liberté et la dignité».
Poursuivre la procédure judiciaire contre Kallel
Dans des déclarations exclusives à Kapitalis, Naït-Liman a fait savoir qu’il continuera à œuvrer pour sa cause, à savoir, selon lui, «poursuivre la procédure judiciaire à l’encontre d’ex-dirigeants tunisiens et à leur tête Abdallah Kallel», l’ancien ministre de l’Intérieur et de la Défense et ex-président de la Chambre des conseillers.
En avril 1992, alors qu’il vivait en Italie, M. Naït-Liman est arrêté et remis aux autorités tunisiennes. Durant quarante jours, il a vécu un enfer dans les locaux mêmes du ministère de l’Intérieur.
En 1995, Naït-Liman obtient l’asile en Suisse, en raison «des tortures qui lui ont été infligées durant ces quarante jours».
En février 2001, profitant de la présence d’Abdallah Kallel sur le territoire genevois, Naït-Liman dépose une plainte pénale contre ce dernier pour «lésions corporelles graves». Le plaignant lui reprochait «d’avoir ordonné les tortures physiques et psychologiques qu’il a subies directement dans les locaux du ministère de l’Intérieur». L’ancien ministre de l’Intérieur, arrivé en Suisse pour subir une opération à cœur ouvert dans une clinique genevoise, parvient toutefois à quitter la Suisse juste avant que la justice genevoise s’intéresse à son cas.
En juillet 2004, soutenu par l’Ong suisse Track Impunity Always (Trial), M. Naït-Liman introduit à Genève une action en justice visant à obtenir de Kallel et de la Tunisie «la réparation du dommage subi en raison des tortures infligées».
L’«immunité» controversée de M. Kallel
Défendu par Me François Membrez, vice-président de Trial, M. Naït-Liman se trouve en effet dans l’impossibilité de retourner en Tunisie sous peines de graves risques pour son intégrité. Le seul lieu où il peut faire valoir ses droits est Genève, où il est domicilié depuis des années.
Valablement convoqués, les défenseurs refusent de prendre part à la procédure. Le Tribunal de première instance, puis la Cour de justice en appel, déclarent cependant la demande irrecevable, soit en raison de l’immunité dont jouirait M. Kallel pour les faits commis dans le cadre de ses fonctions, soit en raison de l’absence d’un lien suffisant avec Genève.
M. Naït-Liman saisit alors le Tribunal fédéral d’un recours visant à faire reconnaître qu’il existe un «for de nécessité» à Genève, tel que prévu par l’article 3 de la loi fédérale sur le droit international privé. Selon cette disposition, il doit en effet être possible de saisir d’agir en Suisse lorsqu’une «procédure à l’étranger se révèle impossible ou qu’on ne peut raisonnablement exiger qu’elle y soit introduite», les autorités judiciaires «du lieu avec lequel la cause présente un lien suffisant» étant alors compétentes.
Par arrêt du 22 mai 2007, le Tribunal fédéral a rejeté le recours en raison de l’insuffisance de ce lien, laissant ouverte la question de savoir si l’immunité d’un ancien ministre de l’Intérieur pourrait également faire obstacle à l’affaire.
La Cour européenne entre en jeu
Par conséquent, M. Naït-Liman demande à la Cour européenne des droits de l’homme de:
- constater que Abdennacer Naït-Liman a subi une violation par la Suisse de l’article 6\1 de la Convention européenne des droits de l’homme en raison du refus d’examiner la demande en réparation du préjudice moral subi du fait d’actes de torture;
- déclarer qu’aucune immunité ne peut être soulevée pour protéger les auteurs de crimes de torture et les Etats pratiquant la torture;
- d’exiger de la Suisse, lieu de domiciliation du requérant, qu’elle se déclare compétente en vertu du «for de nécessité», et par conséquent qu’elle déclare recevable une action en justice visant à obtenir de M. Kallel et de la Tunisie la réparation du dommage subi en raison des tortures infligées.
En décembre 2010, la Cour européenne des droits de l’homme a communiqué le dossier aux autorités suisses, leur demandant de répondre aux griefs formulés.