Un-Hamadi-Jebali-en-cache-un-autre-Banniere

Hamadi Jebali, comme tous les islamistes, se complait dans la duplicité: sa rupture avec Ennahdha est presque consommée, mais il hésite encore à rompre les amarres. Décryptage...

Par Imed Bahri

Hamadi Jebali, ex-secrétaire général du parti islamiste Ennahdha et ancien chef du gouvernement provisoire (décembre 2011-mars 2013), vient d'envoyer deux communiqués aux médias, l'un en arabe et l'autre en français. L'on se doute bien qu'il n'est pas l'auteur du texte en français et il est fort possible qu'il ne l'ait pas suffisamment relu pour ne pas dire autre chose. Le texte en arabe, en revanche, est bel et bien de sa plume.

Un discours schizophrénique

Une première constatation: alors que la version arabe du communiqué garde ce ton «révolutionnaire» qu'il affectionne tant et parle de forces révolutionnaires parmi lesquelles il croit se situer (puisque, selon un récent entretien donné à un média arabe, il se considère comme le père de la révolution tunisienne), et de forces rétrogrades (sic !) qui tirent vers «l'arrière»; la version française parle plutôt de consensus et d'unité nationale et n'évoque même pas «la révolution», mais un vague «esprit révolutionnaire».

Dans le genre de discours schizophrénique, ou de double langage (diraient les mauvaises langues), on ne peut pas faire mieux!
Toujours est-il que Hamadi Jebali, le Nahdhaoui, apparait mieux dans le texte arabe, alors que l'autre Hamadi Jebali, le patriote et le démocrate, se révèle dans celui écrit dans la langue de Voltaire, dans un style certes lourdaud, mais correct. Le problème est que cette duplicité – n'ayons pas peur des mots! – est dure à avaler.

Souvenons-nous: Rached Ghannouchi a mis Hamadi Jebali sur le ban de la famille islamiste après sa fameuse rupture de la «bayaa» (serment d'allégeance), lorsqu'en février 2013, après l'assassinat du dirigeant de gauche Chokri Belaid, il a tenté de virer tous les ministres nahdhaouis et assimilés pour les remplacer par des technocrates. Il a été mis en minorité au sein d'Ennadha et même son ami (et unique défenseur), l'avocat Abdelfattah Mourou, grand caméléon devant l'Eternel, a été récupéré par une simple candidature aux législatives dans la circonscription de Tunis1. Il ne lui restait donc que ses larmes pour pleurer.

L'ancien secrétaire général d'Ennahdha tente donc, à travers ce communiqué, de se démarquer de la ligne officielle d'Ennahdha, surtout dans le texte en français, en prônant l'unité nationale comme solution à tous les maux qui rongent le pays. Il fixe les priorités, notamment la restauration de l'autorité de l'Etat, autorité qu'il a largement participé à affaiblir lorsqu'il était à la tête du gouvernement en laissant faire les pseudos Ligues de protection de la révolution (LPR), ces milices islamistes proches à la fois d'Ennahdha et de l'organisation terroriste Ansar Charia, dont Ghannouchi a revendiqué la paternité.

Rached-Ghannouchi-et-Hamadi-Jebali

Hamadi Jebali et Rached Ghannouchi: «Je t'aime, moi non plus». 

Les islamistes deviennent de bons «chrétiens»

A la manière d'un jésuite (et ce n'est pas une insulte pour un musulman), Hamadi Jebali use de subterfuges linguistiques pour se démarquer un tant soit peu de la ligne officielle d'Ennahdha sans jamais oser rompre totalement. Il faut reconnaître qu'avec Rached Ghannouchi, qui n'est pas un enfant de choeur, il aura fort à faire.

Lors d'un récent passage sur le plateau d'une chaîne de télévision locale, ce dernier n'a rien laissé à Jebali, en endossant le costume de la réconciliation et du consens national. Plus modéré et plus centriste que ce salafiste jihadiste (lisez ses livres et réécoutez ses anciens discours !) tu meurs! Le «wifaquisme» (recherche du consensus) est devenu chez lui plus qu'une idéologie : presque une seconde nature. Son inventeur, en l'occurrence Béji Caïd Essebsi, le président de Nida Tounes, doit rougir de honte en écoutant et en lisant les «nouveaux» Jebali et Ghannouchi, car les disciples ont dépassé le maître dans sa recherche du dialogue, son acceptation de l'adversaire et son «amour du prochain».

Par un curieux retournement, les islamistes tunisiens sont devenus carrément de bons chrétiens: vous leur assénez une gifle sur une joue, ils vous tendent l'autre! On croit rêver!

Hamadi Jebali, on le sent, est dans une mauvaise passe ou au début d'une nouvelle traversée du désert. Il ne peut continuer de se taire, car il signerait ainsi sa mort politique, Ghannouchi ne demandant qu'à le faire taire définitivement (sans jeu de mot de mauvais goût !). Et il hésite encore à jouer le rôle de «l'apostat», celui qui contredit la parole du «Dieu des islamistes», car ce dernier pourrait lâcher contre lui toute sa meute d'aboyeurs professionnels. Il tente donc prudemment de sortir la tête de l'eau et attend de voir les réactions de son ancien maître et ami.

Reste à savoir jusqu'où pourra-t-il aller? Le fait de publier un communiqué au lieu de faire une déclaration télévisée, radiophonique ou dans la presse écrite confirme cette prudence. Ce communiqué pourrait être aussi le prélude à une sortie médiatique plus pointue et plus offensive où il annoncerait sa rupture définitive avec Ennahdha et la création d'un nouveau courant politique voire d'un parti.

Malgré les rumeurs sur l'imminence de cette rupture, Hamadi Jebali ne semble pas encore avoir tranché. Fera... fera pas? Les prochains jours seront déterminants...

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