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Le nouveau Ghannouchi est méconnaissable. Plus laïque que les laïques, prêt à s'allier avec les destouriens, il embrasserait même Ben Ali sur la bouche. La couleuvre est trop grosse...

Par Imed Bahri

 On peut sans risque de se tromper dire que Rached Ghannouchi a mis de l'eau dans son «vin» (ou son lait de chamelle). Il en fait même trop, jusqu'à en devenir presque méconnaissable.

Après plus de cinquante ans de prêches pour instaurer un État théocratique qui applique scrupuleusement la charia selon une vision salafiste héritière de la ligne dure du hanbalisme, dont le dernier avatar est la doctrine wahhabite ayant engendré tous les courants jusqu'au-boutistes et takfiristes, Rached Ghannouchi, dans une interview à un quotidien arabophone de la place et surtout lors de la conférence de presse tenue par son parti pour lancer sa campagne électorale, a pris tout le monde de court, y compris les adeptes du «ghannouchisme», en déclarant accepter une alliance avec les partis destouriens et en déclarant haut et fort qu'il n'y a plus de «contre-révolution», car «tous ceux qui ont adopté la nouvelle constitution sont des révolutionnaires!».

Une main tendue aux hommes de l'ancien régime

Beaucoup se sont tirés les oreilles croyant rêver! Ce n'est pas un dérapage verbal, puisque Ghannouchi a confirmé officiellement cette nouvelle stratégie plus ou moins surprenante, qui consiste à non seulement tendre la main aux laïcs mais aux hommes de l'ancien régime voués, il y a quelques encore mois, à la géhenne éternelle et envoyés par son ministre de la Justice, sous prétexte de lutte contre la corruption, aux geôles de la prison de Mornaguia.

N'est ce pas Sahbi Atig, président du groupe parlementaire d'Ennahdha, qui, il y a un peu plus d'un an, menacé, du haut du parvis du théâtre municipal, ces mêmes «contre-révolutionnaires» de les traîner dans la rue jusqu'à ce que mort s'ensuive («sahl»)?

A la question du journaliste: «Est-il possible que vous fassiez alliance avec les destouriens?», Ghannouchi répond: «Nous sommes prêts à nous allier avec tous ceux qui croient en la constitution».

Ce n'est donc plus la charia et le Coran qui constituent la base d'une alliance politique pour le «nouveau» Rached Ghannouchi mais la constitution. Même les plus démocrates parmi les grands partis politiques du monde ne sont jamais allés aussi loin, car si la constitution est toujours considérée comme le texte fondamental régissant l'État et la société, elle ne peut nullement constituer une base sérieuse d'alliance politique. C'est qu'à l'évidence Ghannouchi ne sait pas encore à quoi sert une constitution et la confond avec un programme électoral commun de partis politiques.

C'est dire combien lui et ses adeptes ont assimilé les principes qui régissent l'État moderne. Nous les avons vus d'ailleurs à l'œuvre lors de leur passage par le gouvernement, entre décembre 2011 et janvier 2014. N'a-t-il pas été lui-même le maître absolu du pays alors qu'il n'a jamais été élu? N'a-t-on pas jusqu'à maintenant un président élu avec seulement 7000 voix?

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L'ambassadeur américain Jacob Walles est reçu régulièrement par Rached Ghannouchi: Que se disent-ils?

Ghannouchi cherche à plaire à ses sponsors occidentaux

La constitution, Ghannouchi sait qu'elle ne servira que comme alibi pour se partager le gâteau du pouvoir. Il tente désespérément, depuis quelques temps, de justifier sa volte-face et puise dans la rhétorique des arguments pour nous faire croire qu'Ennahdha a toujours été un parti laïc, car la nouvelle constitution est réellement laïque, même si elle fût votée par Sadok Chourou, Habib Ellouze, Nejib Mrad et les dizaines de députés intégristes nahdhaouis.

En réalité, ce ne sont pas les Tunisiens que Ghannouchi tente de convaincre mais ses sponsors occidentaux, principalement Les Etats-Unis, dont le Congrès s'apprête à voter une loi déclarant les Frères musulmans «organisation terroriste». Pour cela il est prêt à embrasser Ben Ali lui-même sur la bouche! Que dire de ses ex-ministres?

Le «ghannouchisme», une idéologie «frères musulmans» que Ghannouchi a élaboré minutieusement durant plus que cinquante ans, est jetée à la poubelle par celui-là même qui l'a fondée!

La politique a ses raisons que parfois la raison ignore. Celle de Ghannouchi se distingue par un opportunisme hors-pair.

Machiavel rougirait de honte s'il écoutait et lirait maintenant les déclarations de Ghannouchi. Le disciple a dépassé le maître en termes d'hypocrisie (il dit «mon ami El-Beji»), de mensonges et de lâchetés puisqu'il a renié même l'Organisation mondiale des Frères musulmans, dont il est l'un des dirigeants actifs.

Le seul principe dont use Ghannouchi parmi les maximes énoncées par Machiavel est le suivant: «La fin justifie les moyens».

Le mensonge politique est donc devenu une vertu chez le «cheikh» puisqu'il falsifie sa propre histoire pour justifier ses prises de positions actuelles! Et il se trouve suffisamment d'hypocrites et de laudateurs dans ce pays pour applaudir des deux mains ce qu'ils considèrent comme la «tunisification» de l'islam politique que représente le parti Ennahdha, d'essence salafiste rétrograde. Et toutes ces acrobaties pour nous convaincre que le salafisme dans sa version ghannouchienne est soluble dans la démocratie.

Nous faire avaler une telle couleuvre relève de l'indécence. Attendez pour voir qu'ils mettent à nouveau leur grappin sur les rouages de l'État. Ce n'est pas un Daêch seulement que les islamistes tunisiens instaureront! Mais il sera alors trop tard...

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