Les responsables libyens ont fait savoir à leurs homologues tunisiens qu’ils n’accepteraient, en aucun cas, qu’un quelconque rôle politique soit accordé au parti islamiste Ennahda.


Selon nos confrères de ‘‘Maghreb Intelligence’’, les Libyens, qui ont bouclé en urgence leurs frontières avec la Tunisie au lendemain de la fuite de Ben Ali, le 14 janvier, appréhendent sérieusement le retour en Tunisie de Rached Ghannouchi, le leader historique du mouvement islamiste Ennahdha.
Ce dernier, qui a débarqué dimanche à l’aéroport de Tunis-Carthage, après 22 ans d’exil à Londres, a été accueilli par plusieurs milliers de ses partisans. Il a affirmé qu’Ennahda participerait aux élections législatives mais qu’il ne devrait pas présenter de candidat à la présidentielle. Il a aussi affirmé qu’il ne désirait concourir à aucun mandat électif. «Il existe une autre génération, une génération plus jeune, qui a les qualifications nécessaires pour briguer ces postes», a-t-il expliqué. Son désir le plus fort étant, selon ses termes, de humer l’air de la Tunisie enfin libre et d’accomplir ses prières à la mosquée Zitouna, à Tunis.

 

Une cellule de crise à Tripoli
«Notre priorité n’est pas de gouverner le pays. Notre priorité est de contribuer à l’avènement de cette démocratie pour laquelle tant de vies, d’une génération à l’autre, ont été sacrifiées. Pour y parvenir, il faut privilégier le consensus», a déclaré Ghannouchi dans une interview avec ‘‘L’Express’’.
Ces propos rassurants suffiront-elles à rassurer le leader libyen Mouammar Kadhafi, qui redoute la montée du mouvement islamiste dans son pays? Rien n’est moins sûr. Pour preuve: les Libyens ont formulé explicitement à leurs homologues tunisiens que la Jamahiriya ne «pouvait tolérer la présence d’islamistes dans le gouvernement tunisien».
Tripoli aurait même mis en place une cellule de crise chargée de suivre l’évolution de la situation en Tunisie. Cette cellule, qui est aussi chargée de trouver une solution aux nombreux membres des hommes de Ben Ali réfugiés en Libye, serait composée du ministre des Affaires étrangères Moussa Koussa, du patron des services de sécurité Abou Zeid Dordah et du ministre de l’Economie Mohamed Lahouej.

Echange de bons et déloyaux services
‘‘Maghreb Confidentiel’’ (n°957, 27 janvier 2011) rappelle, pour sa part, les liens d’amitié entre Rached Ghannouchi le fils du Guide Saif El Islam Khadafi. Le premier, qui aurait bénéficié de l’aide financière du second, a joué un rôle clé dans les négociations avec les islamistes libyens réfugiés dans la capitale britannique», écrit la lettre confidentielle. Elle ajoute: «C’est en partie grâce aux bons offices du patron d’Ennahdha que la Fondation Kadhafi – pilotée par le fils du Guide – a pu conclure, l’été 2008, la reddition du Groupe islamique combattant libyen (Gicl), à la suite d’un accord avec l’islamiste libyen résidant à Londres Noman Ben Othman. L’année suivante, le Gicl avait renié  son affiliation à l’organisation Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi)».

Le ferme rejet libyen
Les services que le leader islamiste tunisien a rendus à la Libye ne semblent pas avoir atténué les craintes que son mouvement inspire aux autorités de ce pays. Selon ‘‘Maghreb Intelligence’’, les dirigeants libyens «ont fait savoir à leurs amis au sein du Rcd – parti de Ben Ali – ainsi qu’à certains dirigeants de l’opposition notamment à Nejib Chebbi, qu’ils pourraient geler tous les accords bilatéraux signés avec la Tunisie ainsi que tous les investissements et mettre fin aux aides et aux dons.»
Les irréductibles adversaires des «nahdhaouis» (militants d’Ennahdha) en Tunisie ne sont donc plus les quelques dizaines de milliers de laïcs – dont quelques dizaines ont tenu à accueillir Rached Ghannouchi à l’aéroport de Tunis-Carthage avec des slogans anti-islamistes –. Le leader d’Ennahdha et les siens devraient désormais faire face aux manœuvres de leurs adversaires dans toute la région.

Imed Bahri